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REVUE DES DEUX MONDES.

Sur sa tête je sautelle ;
Puis de l’une et de l’autre aile
Je le couvre, et sur les bords
De sa lyre je m’endors !

L’autre endroit est tiré de cette ode : Qu’il se voudroit voir transformé en tout ce qui touche sa maîtresse :

Ha ! que plût aux dieux que je fusse
Ton miroir, afin que je pusse,
Te mirant dedans moi, te voir ;
Ou robe, afin que me portasses ;
Ou l’onde en qui tu te lavasses,
Pour mieux tes beautés concevoir !

Ou le parfum et la civette
Pour emmusquer ta peau douillette,
Ou le voile ........
Ou de ton col la perle fine
Qui pend sur ta blanche poitrine,
Ou bien, Maîtresse, ton patin !

Ce dernier vers, dans sa chaussure bourgeoise, a je ne sais quoi de court et d’imprévu, de tout-à-fait bien monté.

Mais il était plus facile, en général, aux vrais poètes d’imiter Anacréon que de le traduire. Belleau gagna surtout, on peut le croire, à ce commerce avec le plus délicat des anciens d’emporter quelque chose de ce léger esprit de la muse grecque qui se retrouva ensuite dans l’une au moins de ses propres poésies. Il est douteux pour moi qu’il eût jamais fait son adorable pièce d’Avril tant de fois citée, sans cette gracieuse familiarité avec son premier modèle ; car, si quelque chose ressemble en français pour le pur souffle, pour le léger poétique désintéressé, à la Cigale d’Anacréon, c’est l’Avril de Belleau. Il arriva ici à nos poètes ce qu’un anonyme ancien a si bien exprimé dans une ode que nous a conservée l’un des manuscrits de l’Anthologie ; je n’en puis offrir qu’une imitation :

Je dormais : voilà qu’en songe
(Et ce n’était point mensonge),
Un vieillard me vit passer,
Beau vieillard sortant de table ;
Il m’appelle, ô voix aimable !
Et moi je cours l’embrasser.

Anacréon, c’est lui-même,