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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

sa ballade des Neiges d’antan, Mellin de Saint-Gelais dans une quantité de madrigaux raffinés, avaient prévenu le genre : Voltaire, au défaut d’Anacréon lui-même, l’aurait retrouvé.

La veine anacréontique, directement introduite en 1554, et qui se prononce dès les seconds essais lyriques de Ronsard, de Du Bellay et des autres, fit véritablement transition entre la vigueur assez rude des débuts et la douceur un peu mignarde et polie des seconds disciples, Desportes et Bertaut ; cette veine servit comme de canal entre les deux. Mais ce n’est pas ici de l’anatomie que je prétends faire, et, une fois la ligne principale indiquée, je courrai plus librement.

Remy Belleau, épris de cette naïveté toute neuve et de cette mignardise (c’était alors un éloge), s’empressa de traduire le charmant modèle en vers français. Sa traduction, qui parut en 1556, ne sembla peut-être pas aux contemporains eux-mêmes tout-à-fait suffisante :

Tu es un trop sec biberon
Pour un tourneur d’Anacréon,
Belleau,.......

lui disait Ronsard. Belleau, comme qui dirait Boileau, par opposition au chantre du vin, ce n’est qu’un jeu de mots ; mais, à la manière dont Ronsard refit plus d’une de ces petites traductions, on peut croire qu’il ne jugeait pas celles de son ami définitives. Deux ou trois morceaux pourtant ont bien réussi au bon Belleau, et Saint-Victor, dans sa traduction en vers d’Anacréon, a désigné avec goût deux agréables passages : l’un est dans le dialogue entre la Colombe et le Passant ; la colombe dit qu’elle ne voudrait plus de sa liberté :

Que me vaudroit désormais
De voler par les montagnes,
Par les bois, par les campagnes,
Et sans cesse me brancher
Sur les arbres, pour chercher
Je ne sais quoi de champêtre
Pour sauvagement me paître,
Vu que je mange du pain
Becqueté dedans la main
D’Anacréon, qui me donne
Du même vin qu’il ordonne
Pour sa bouche ; et, quand j’ai bu
Et mignonnement repu,