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grand ; on commence surtout très volontiers par le mignard et le subtil. Le Sanglier pénitent de Théocrite (si une telle pièce est de Théocrite) agréera bien mieux tout d’emblée que ces admirables pièces des Thalysies ou de la Pharmaceutrie. On s’en prendra d’abord à Bembe, et non à Dante. Les littératures étrangères s’inoculent plutôt par ces pointes.

L’Anacréon d’Estienne, s’il ne rentrait pas tout-à-fait dans la classe des grands et premiers modèles, était du moins le plus pur et le plus achevé des moindres (minores), et il arrivait à propos pour les corriger : intervenant entre Jean Second et Marulle, il remettait en idée l’exquis et le simple. Dans cette ferveur, dans cette avidité dévorante de l’érudition et de l’imitation, il n’y avait guère place au choix ; on en était à la gloutonnerie première ; Anacréon commença à rapprendre la friandise. Il eut à la fois pour effet de tempérer, je l’ai dit, le pindarique, et de clarifier le Rabelais. Au milieu de la jeune bande en plein départ, et par la plus belle matinée d’avril, que fit Henri Estienne ? Il jeta brusquement un essaim et comme une poignée d’abeilles, d’abeilles blondes et dorées dans le rayon, et plus d’un en fut heureusement piqué ; il s’en attacha presque à chacun du moins une ou deux, qu’ils emportèrent dans leurs habits et qui se retrouvent dans leurs vers.

Ce que je dis là d’Anacréon se doit un peu appliquer aussi, je le sais, à l’Anthologie tout entière, publiée à Paris en 1531, et dont Henri Estienne donna une édition à son tour ; mais Anacréon, qui forme comme la partie la plus développée et le bouquet le mieux assemblé de l’Anthologie, qui en est en quelque sorte le grand poète et l’Homère (un Homère aviné), Anacréon, par la justesse de son entrée et la fraîcheur de son chant, eut le principal effet et mérita l’honneur.

Quand les Analecta de Brunck parurent en 1776, ils vinrent précisément offrir à l’adolescence d’André Chénier sa nourriture la plus appropriée et la plus maternelle : ainsi, pour nos vieux poètes, l’ancienne Anthologie de Planudes, et surtout l’Anacréon d’Estienne : il fut un contemporain exact de leur jeunesse.

Du jour où il se verse dans la poésie du XVIe siècle, on y peut suivre à la trace sa veine d’argent. À partir du second livre, les Odes de Ronsard en sont toutes traversées et embellies ; et chez la plupart des autres, on marquerait également l’influence. L’esprit français se trouvait assez naturellement prédisposé à cette grace insouciante et légère ; l’Anacréon, chez nous, était comme préexistant ; Villon dans