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Les premiers essais de 1550 à 1555 sont extrêmement incultes, incorrects, et sentent l’effort à travers leur fierté. L’Anacréon est venu à point comme pour amollir et adoucir la verve férocement pindarique de Ronsard et consorts, pour les ramener au ton de la grace. Dans le dithyrambe pour la fête du bouc, célébrée en l’honneur de Jodelle, après le succès de sa Cléopâtre (1553), Baïf et tous les autres à tue-tête répétaient en chœur ce refrain de chanson à Bacchus ; je copie textuellement :

Iach iach ia ha
Evoe iach ia ha !

L’Anacréon d’Henri Estienne rompit un peu ce chorus bizarre, et, comme un doux chant dans un festin, tempéra l’ivresse.

Je n’ai pas à discuter ici la question de l’authenticité des poésies de l’Anacréon grec, et j’y serais parfaitement insuffisant. On était allé d’abord jusqu’à soupçonner Henri Estienne de les avoir fabriquées. Depuis qu’on a retrouvé d’autres manuscrits que ceux auxquels il avait eu recours et qu’il n’avait jamais produits, cette supposition excessive est tombée. Il restait à examiner toujours si ces poésies remontent bien réellement au lyrique de Téos, au contemporain de Cambyse et de Polycrate, à l’antique Ionien qui, sous sa couronne flottante, prêta les plus aimables accens à l’orgie sacrée. L’opinion de la critique paraît être aujourd’hui fixée sur ce point, et les érudits, m’assure-t-on, s’accordent en général à ne considérer les pièces du recueil publié par Henri Estienne (à deux ou trois exceptions près) que comme étant très postérieures au père du genre, comme de simples imitations, et seulement anacréontiques au même sens que tant d’autres jolies pièces légères de nos littératures modernes. Qui donc les a pu faire ces charmantes odes pleines d’élégance et de délicatesse, et auxquelles tant de gens de goût ont cru avant que la critique et la grammaire y eussent appliqué leur loupe sévère ? Y a-t-il eu là aussi, à l’endroit d’Anacréon, des Macpherson et des Surville de l’antiquité ? Je me figure très bien que, même sans fraude, et d’imitation en imitation, les choses se soient ainsi transformées et transmises, que des contemporains de Bion et de Moschus aient commencé à raffiner le genre, que tant d’auteurs agréables de l’Anthologie, tels qu’un Méléagre, y aient contribué, et que, sous les empereurs et même auparavant, les riches voluptueux, à la fin des banquets, aient dit aux Grecs chanteurs : Faites-nous de l’Anacréon ! Cicéron nous parle de ce Grec d’Asie, épicurien et poète, ami de