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voisins, quand il peut éviter de le faire. Votre majesté est naturellement maîtresse de ses actions ; mais lui donner des secours pour l’expédition qu’elle a entreprise serait incompatible avec la neutralité qui est la règle de conduite du gouvernement britannique. » Dost-Mohammed propose de reconnaître la suzeraineté de l’Angleterre, le gouvernement de l’Inde refuse ; les émirs du Sindy offrent de recevoir un résident anglais au prix de la protection de l’Angleterre, le gouvernement de l’Inde refuse encore. À la fin de 1837, une année seulement avant l’expédition, la cour des directeurs, à Londres, écrit au gouverneur de l’Inde : « Quant à ce qui concerne les états à l’ouest de l’Indus, vous avez uniformément suivi la marche convenable, qui est de n’avoir aucune liaison politique avec aucun état ou aucun parti dans ces contrées, et de ne prendre aucune part dans leurs querelles, mais de maintenir autant que possible des relations amicales avec tous. »

En 1809, M. Elphinstone avait conclu un traité avec le shah Soudja, alors régnant, et les deux puissances contractantes convenaient « qu’elles n’interviendraient en aucune façon dans les affaires de leurs possessions respectives. » Mais si l’Angleterre n’intervient pas, c’est à condition que personne n’interviendra. Or, peu à peu la Russie s’avance à pas lents et silencieux, elle apparaît toutes les fois que l’Angleterre s’efface, elle offre cette médiation que le gouvernement de l’Inde refuse, et c’est alors que pour éloigner l’influence russe de sa frontière, l’Angleterre se résigne, après une longue résistance, à intervenir. Ce n’est plus la neutralité qui est écrite dans le traité de 1838 (26 juin) ; tout au contraire, le shah Soudja s’engage, « lui et ses successeurs, à n’entrer dans aucune négociation avec aucune puissance étrangère sans la connaissance et le consentement des gouvernemens britannique et seik (Lahore), et à combattre de tout son pouvoir toute puissance qui aurait le projet d’envahir les territoires britannique et seik par la force des armes. » De plus, le shah prend l’engagement que « toutes les fois qu’il surgira quelque circonstance de grand intérêt à l’ouest, il sera pris des mesures telles qu’il semblera convenable aux gouvernemens britannique et seik de prendre. »

Ce n’est donc pas un désir sentimental de conquêtes, mais l’invincible nécessité qui a poussé l’Angleterre au-delà de l’Indus. Elle est sous le coup de cette voix dominatrice dont parle Bossuet, et qui lui crie : « Marche ! marche ! » Son ambition est pour ainsi dire une ambition défensive, et chaque fois qu’elle a étendu son territoire dans l’Inde, elle ne l’a fait que pour obéir à la loi fatale de l’intervention, qui est le fondement de son empire.


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V. de Mars.