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REVUE — CHRONIQUE.

dura ce tourment affreux sans pousser un soupir ; il tendait ses membres à ces monstres altérés de sang, et il montra la même indifférence tranquille, le même mépris, la même insouciance pour sa propre vie, qu’il avait si souvent témoignés pour la vie des autres. Les restes sanglans de ce malheureux furent réunis dans une toile et envoyés à Ghizni, où ils reçurent la sépulture[1]. »

Cet acte sanguinaire, qui rappelle l’assassinat du duc de Guise, fut commis en 1818. Mahmoud n’osa pas même attendre la vengeance des Barukzis ; il s’enfuit précipitamment à Hérat. Il conserva le titre de roi, mais il devint le vassal de la Perse, et il mourut en 1829, laissant la principauté de Hérat à son fils Kamram, qui la possède encore aujourd’hui.

Le gouverneur du Cachemir, Mohammed Azim-Khan, se trouva l’aîné et devint le chef des Barukzis, mais il ne voulut point, ou n’osa point, prendre la couronne. Il paraît que la race royale conservait encore un certain prestige. Le capitaine Wade, résident anglais de Loudiana, écrivait quelques années plus tard au gouvernement de l’Inde : « L’esprit de clan est très fort dans le Caboul, et la famille Sudozie a gardé une part considérable dans les affections de la tribu des Douranis, que les Barukzis n’ont pu parvenir à se concilier. » On doit croire que ces observations étaient justes, puisque Mohammed Azim, maître de la monarchie, prit le parti de rappeler Soudja de son exil et de lui offrir le trône. Soudja se hâta d’accourir à Peschawer, nais ce bizarre monarque n’avait pu, dans toutes les vicissitudes de sa vie, perdre la passion de l’étiquette. Il offensa grièvement un Barukzi qui avait eu l’indiscrétion de se servir devant lui d’un palanquin, et souleva de nouveau toute la famille avant d’avoir repris possession de son trône.

Alors un autre fils de Timour, Eyoub, se rendit au camp des Barukzis et sollicita humblement la couronne qui venait d’être offerte à son frère. Mohammed Azim régna sous son nom comme Feth-Khan avait régné sous le nom de Mahmoud. Mais, pendant ces troubles civils, le « lion du Pundjab, » Runjet-Singh, s’était jeté sur le Cachemir. En 1822, il traversa l’Indus et vint livrer à Nouchéro une bataille sanglante qui assura pour toujours sa domination sur la rive orientale de l’Indus et sur Peschawer, qui depuis cette époque lui paya un tribut. C’était non-seulement une guerre de territoire, mais aussi une guerre de religion. On sait que les Seiks formaient une secte fondée, vers le milieu du XVe siècle, sur des dogmes réformés du brahmanisme. Les Afghans, de leur côté, étaient de la religion musulmane, et ils combattaient les Seiks au nom de leur prophète comme au nom de leur indépendance.

Azim-Khan et ses frères n’avaient pu prendre part au combat. La rivière de Caboul les séparait du champ de bataille, et ils assistèrent sans coup férir à la défaite de la moitié de leur armée. L’aîné des Barukzis en mourut de chagrin, et sa mort rompit le lien qui avait fait jusqu’alors la force de sa famille. Ceux des dix-neuf frères qui vivaient encore se firent des guerres

  1. Travels into Bockara, t. III, l. i.