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Le ministère anglais rencontre, pour l’établissement de l’income-taxe, plus d’opposition qu’il ne s’en manifestait d’abord. La lutte sera très vive dans le parlement. Le bill, cependant, sera, dit-on, adopté, à une faible majorité dans la chambre des communes, à une assez forte majorité, dans la chambre des lords. Sir Robert Peel tient tête à l’orage avec un courage, une fermeté, une résolution qu’on ne saurait assez admirer. Il regarde ses adversaires en face, et il rallie ses amis avec toute l’autorité de l’homme d’état qui a pris un grand parti, après y avoir mûrement réfléchi, et après avoir acquis la conviction que c’est là ce qu’exigent le salut et l’honneur du pays. Cette parfaite conviction, il la fera partager à la majorité, ou il quittera le pouvoir. Sir Robert Peel gouverne.

Les adversaires du bill plus encore que du principe s’efforcent d’en attaquer les dispositions particulières. C’est une tactique fort habile, car en effet c’est par les applications et par les moyens d’exécution qu’un impôt de cette nature peut être facilement attaqué. Si dans les applications et les moyens d’exécution on ne rencontrait ni difficultés, ni incertitudes, ni vexations, ni inégalités, certes rien ne serait plus légitime et plus rationnel que la taxe sur le revenu. On atteindrait directement, sans détour, le but auquel en réalité on doit toujours tendre dans l’assiette de tout impôt. L’impôt ne devrait jamais être qu’un prélèvement sur le revenu, un prélèvement proportionnel, et qu’on ne devrait pas demander à celui qui n’a que le strict nécessaire. En établissant les impôts, quels qu’en soient le nom et la forme, on s’efforce de satisfaire, tant bien que mal, à ces conditions du problème. On proportionne le droit de patente à l’importance présumée des affaires du patenté, la contribution mobilière au taux du loyer, la contribution des portes et fenêtres au nombre et à la nature des ouvertures : c’est sur les denrées de luxe que la douane perçoit les droits les plus élevés ; mais ici arrêtons-nous, car le principe prohibitif jette de singulières et tristes perturbations dans le système. Toujours est-il que, lorsque d’autres considérations ne viennent pas troubler l’esprit du législateur, il essaie par des conjectures, par des suppositions, par des voies indirectes, de réaliser le principe de la proportion de l’impôt avec le revenu du contribuable. Il suppose que celui qui paie un gros loyer est riche, que celui qui consomme beaucoup de sucre, de café, d’épices, de tabac, a un revenu plus considérable que celui qui ne fait qu’une faible consommation de ces denrées. Ces conjectures et tant d’autres sont vraies dans un grand nombre de cas ; elles ne le sont pas toujours. Plus d’une fois la proportion de l’impôt avec le revenu du contribuable ne se trouve pas observée. Elle le serait au contraire toujours dans l’income-taxe, si les moyens d’exécution en étaient aussi faciles et aussi sûrs que le principe en est équitable. Malheureusement les moyens d’exécution sont sujets aux plus graves objections. Elles sautent aux yeux. Aussi l’impôt direct sur le revenu total n’avait-il été pratiqué que dans quelques petits états où le législateur, grace à la moralité générale et à la puissance de l’opinion publique, croyait pouvoir accepter presque sans contrôle les décla-