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REVUE MUSICALE.

Si depuis deux mois environ les nouveautés manquent à la scène, si les théâtres lyriques s’endorment, en revanche les concerts se succèdent et se multiplient avec une infatigable activité. Cette époque de l’année est d’ordinaire la période musicale par excellence ; les notes y pleuvent comme les giboulées. À la débâcle de Pâques, c’est à qui s’adressera aux virtuoses italiens, à qui profitera de ces quelques jours de liberté que Lablache, la Grisi et la Persiani comptent entre la campagne de Paris et celle de Londres. On les supplie, on les circonvient, on les assiége, et tant de démarches et d’obsessions finissent toujours par une cavatine chantée à la matinée musicale d’un bénéficiaire plus ou moins illustre. Qui n’a donné, qui ne donnera son concert ? Voulez-vous entendre un air de ténor chanté par une basse, voilà M. Géraldi qui va vous débiter d’une voix d’enterrement la cavatine de Ponchard dans la Dame Blanche ; voulez-vous entendre une ame de jeune homme qui s’exhale en un mélancolique adagio, voilà M. Batta et son violoncelle. Parlerai-je de M. Chopin ? Avec lui, les choses ont un vernis de plus haute élégance. Le talent de M. Chopin ne se produit qu’à de longs intervalles, et s’entoure alors de toute sorte de soins minutieux et de ménagemens. M. Chopin n’admet à ses révélations annuelles qu’un public d’initiés, qu’un monde tout d’élite ; il faut à son talent exquis, délicat, merveilleux, mais fragile et d’une ténuité qui se dérobe à l’analyse, un auditoire expressément composé d’organisations nerveuses, de natures presque éthérées ; il y a dans le jeu de M. Chopin quelque chose de perlé, de rare, d’éolien, que de simples mortels ne pourraient saisir. Le jour où l’on inventera un microscope pour les oreilles, ce jour-là M. Chopin sera divinisé. Cependant, au-dessus de ce monde de petites passions, de petites coteries et de petite musique, règne le Conservatoire. Ici du moins il s’agit encore d’art et de grands maîtres ; avec quel noble zèle cette admirable institution se perpétue ! comme depuis quinze ans cet orchestre et ce public s’entendent et s’encouragent ! quel enthousiasme chaleureux, convaincu, désintéressé, d’une part, quelle exactitude ponctuelle de l’autre ! Il y a des orchestres et des sociétés musicales en Allemagne, mais la société des concerts n’existe que chez nous ; et dire qu’il faut venir de Vienne et de Berlin pour entendre Beethoven et Weber, pour embrasser dans son idéal l’exécution des chefs-d’œuvre du génie allemand ! Voilà, certes, qui est beau, et répond dignement aux rivalités mesquines de ces petits princes du Nord, qui prétendent chasser nos gloires de leurs temples. Cette année encore, Beethoven a fait tous les frais de musique religieuse pendant la semaine sainte ; les hymnes spéciales les plus en renom, les langoureuses psalmodies du Stabat de Pergolèse lui-même, ont paru apprêtées et froides auprès de ces immortelles symphonies où la douleur humaine revêt une expression si magnifiquement élégiaque. On vivrait là des semaines entières en contemplation des chefs-d’œuvre et des belles harmonies ; cet enthousiasme héroïque pour les grands maîtres vous repose du charlatanisme quotidien, et vous sentez que le sérieux, chassé de jour en jour du domaine des arts, s’est réfugié dans cette salle comme dans son dernier asile. Si de la tragédie nous