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REVUE MUSICALE.

failli ne pouvoir continuer son rôle, et, sans un excès de bonne volonté dont on doit lui savoir gré, le spectacle allait demeurer suspendu. D’autre part, Mme Dorus, retenue loin de la scène par une altération des régions vocales, ne fait plus de service, et, dans ces circonstances, force est à l’administration de laisser échoir les premiers rôles à des sujets de second et troisième ordre. Ne remarquez-vous pas que les destinées du théâtre se font bien menaçantes ? Nous parlions tout à l’heure de la difficulté que l’Opéra italien trouverait à se renouveler ; nous voici à l’Académie royale, et le même cas se présente. En Italie comme en France, musique et chanteurs manquent à la fois, la disette est partout. — Un ballet nouveau pour Carlotta Grisi, la Rosière de Gand, sera sans doute la première nouveauté à laquelle nous assisterons. Quant aux opéras qui se préparent, tous opéras de genre et signés de noms d’une importance musicale au moins problématique, nous doutons que l’administration fonde sur eux de grandes espérances et compte en faire autre chose que des prologues de ballets. La question est donc tout entière de savoir quand on aura l’opéra de M. Meyerbeer, et comment on en distribuera les rôles. Si éloignée que semble d’abord la mise en scène de cette œuvre, si enveloppée d’ombre et de vapeur que paraisse la date, il n’en est pas moins sûr que toutes les espérances doivent tendre vers ce but. Avant peu, l’illustre maître quittera Berlin pour venir agiter cette grande affaire dans le cabinet de la rue Lepelletier, et il ne s’agira plus que de s’entendre sur la cantatrice. Il ne faut en effet rien moins qu’un nouveau chef-d’œuvre de l’auteur de Robert-le-Diable et des Huguenots pour combler le vide d’un horizon où nul grand nom musical ne rayonne en perspective.

Parlerons-nous du nouvel opéra de M. Auber au théâtre Favart, de ce charmant fleuron ajouté aux Diamans de la couronne ? Dirons-nous ce que personne n’ignore, à savoir que c’est là une musique ingénieuse, pétulante, facile, pleine de goût et d’esprit, où le motif (faculté surprenante après tant de travaux) perce encore et se laisse fort nettement saisir, le motif, cette ame des partitions de M. Auber, cette condition absolue de tant de jolis chefs-d’œuvre ? Il y a des musiques qui vivent par l’instrumentation, les recherches du style, le clair-obscur habilement ménagé, celle de M. Halévy, par exemple ; la musique de M. Auber vit de motifs, et point d’autre chose. Aussi le procédé de M. Auber (qui n’a le sien ?), assez facile à découvrir du reste, ne se laisse pas si aisément imiter qu’il en a l’air. Le motif tel que l’entend l’auteur de la Muette et du Domino noir n’est qu’un fragment d’idée sans doute, qu’un grain de poussière diamantine taillée à facettes ; mais que de gens n’ont pas même des fractions d’idée ! Le jour où le motif que M. Auber cherche partout à la pipée comme un poète sa rime, où ce gentil oiseau, dont il note les chansons au retour de ses promenades au bois, s’envolera pour ne plus revenir, ce jour-là, soyez-en sûrs, M. Auber cessera d’écrire. Rien n’indique dans le Duc d’Olonne que ce jour doive arriver bientôt. Vous retrouvez là, comme dans les Diamans de la couronne, de ces lueurs mélodieuses, de ces tours élégans qui vous séduisent ; je citerai entre