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scurcir les noirs tourbillons de la vapeur ? Au lieu des simples et nobles objets qui se trouvent toujours chez le poète, lors même qu’entre lui et les astres qu’il chante il n’y a que le toit d’un grenier, au lieu de ces choses dignes ou charmantes qui, jusque dans sa misère, ne cessent jamais de distinguer sa demeure, que sais-je ? la vieille épée d’un père ou le jeune portrait d’une maîtresse, un humble pastel plein de souvenirs devant lequel on a pleuré, ou, ce qui est encore plus beau, une toile de grand maître devant laquelle on a eu faim ; en un mot, au lieu de la touchante mansarde, qui ressemble à un front dégarni où rayonne une ame divine, M. de Balzac nous montre un hideux taudis que l’œil parcourt sans y rencontrer rien qui fasse rêver ou sourire. Ce ne sont que roues et longues cheminées, tout l’affreux appareil d’une fabrique ; et, ce qui porte au dernier degré le malaise et la répugnance qu’on éprouve, on aperçoit dans un coin ce tableau, cet odieux tableau noir sur lequel ceux qui calculent font grincer la craie. Là tout rappelle à l’esprit, non pas le poète qui rend son galetas sublime, mais le chercheur de fortune qui avilit le sien.

Dernièrement quelqu’un me racontait le mot d’un saint-simonien qui s’écriait, il y a de cela dix années, dans l’accès d’un enthousiasme prophéthique assez mal justifié par les évènemens : « Voilà dix-huit cents ans qu’on joue ce vieux drame de la messe ; il est temps de le remplacer par un autre. » Je crois que M. de Balzac a voulu tenter dans l’art l’innovation que l’homme dont on me parlait souhaitait d’opérer dans la religion. Le saint-simonien se disait : Peut-on souffrir une chaire d’où l’on ne parle au peuple que de foi, de charité et d’espérance ? L’auteur de Quinola s’est dit : Peut-on souffrir un théâtre où il n’est question que de gloire, d’amour et de poésie ? Et tous les deux ont cru qu’il y avait auprès d’eux, à leur portée, dans l’air même qu’ils respiraient, une pensée qui remplacerait ces pensées vides et creuses, celle de cette industrie aux travaux gigantesques, à l’ambition sans bornes, dont les efforts aspirent à lier à ses destinées celles de notre siècle tout entier. Est-il besoin de montrer l’extravagance de ces rêves ? La glorification de l’industrie par des fêtes religieuses ou des solennités dramatiques, c’est quelque chose de monstrueux et d’absurde. Le pain que le prêtre de l’art et celui de la religion doivent montrer au peuple et élever au-dessus des fronts inclinés, ce n’est pas le pain qui se mange, le pain du corps ; c’est le pain de l’ame, le pain sacré, celui qui fait descendre un Dieu dans le sein du poète comme dans le cœur du chrétien.

Au reste, M. de Balzac ne sait peut-être pas de quelle littérature il se rapproche quand il entreprend de substituer le drame industriel au drame héroïque ou au drame amoureux. Le hasard nous a fait rencontrer dans les curieuses archives du théâtre populaire une pièce à grand spectacle, appelée Christophe le Suédois, qui appartient tout-à-fait à la même famille que la sienne. Ce Christophe a fait, comme Fontanarès, une découverte qui doit être très utile à la fortune du pays et à sa propre fortune. Les piéges, les trahisons,