On a pu voir que jusqu’à présent nous avons suivi, pour classer les ouvrages, l’analogie des sujets et la division, assez élastique du reste, des genres. Cet ordre aurait été tout autre, si nous eussions suivi la hiérarchie du talent. Nous aurions eu alors à mettre en tête le nom de quelques artistes que notre plan ne nous fait rencontrer qu’ici et trop tard.
Et d’abord M. Decamps.
Le talent de M. Decamps se laisse difficilement analyser. Ce talent a des secrets, comme ses procédés techniques d’exécution. Il amuse, il entraîne, il attache, il éblouit, il étourdit ; et de même que son talent échappe à l’analyse, ses œuvres échappent presque à la description.
De ses trois dessins, il en est un surtout d’une incomparable réussite, c’est la Sortie de l’école turque. Quelle gaieté, quelle expansion de bonheur et d’allégresse, quelle fleur de vie et de santé, quelle pétulance sur tous ces frais et rians visages de marmots turcs ! Ils crient, ils sautent, ils courent, ils dansent, ils battent des pieds, des mains. Ils s’entrechoquent, se culbutent, tombent les uns sur les autres ; ils sont à la fois comiques et gracieux, espiègles et naïfs, turbulens et pleins de bonhomie. Leurs petites mines sont si bouffonnes qu’on ne peut s’empêcher de rire, et ils sont si jolis qu’on voudrait les embrasser. Tel est le gamin turc pris sur le fait. Et le magister les vaut bien ; vraie figure d’épouvantail, face de hibou lugubre tout-à-fait digne des anathèmes de la joyeuse nichée d’oiseaux qu’il tient en cage. Étendez sur cette charmante scène un frais bariolage de tons fins, doux, vifs, brillans, animés, harmonieusement mêlés et distribués partout sans dissonances ni papillotage ; ajoutez-y une lumière pleine, abondante, qui pénètre dans les moindres coins et fait tout toucher à l’œil ; supposez enfin le charme de cette exécution secrète et originale qui distingue la manière du peintre, et vous aurez quelque idée de cette aquarelle. Il faut toujours à la critique sa part. On a trouvé que les flots de poussière soulevés sous les pieds des enfans ressemblaient trop à du coton en boules, que la couleur des murs était par trop conventionnelle, et que sais-je encore ? Tout cela est vrai, mais qu’importe ?
Les deux autres dessins de M. Decamps nous placent dans un autre monde. C’est l’épopée après la comédie. Dans le Siége de Clermont, d’épaisses masses d’hommes et de chevaux, répandues à flots pressés sur de larges espaces, s’entrechoquent dans une horrible mêlée. Les Romains et les barbares y sont aux prises. Nous assistons à un de ces