Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/107

Cette page a été validée par deux contributeurs.
101
LITTÉRATURE ANGLAISE.

commentaries of all the actions of our lives[1]. (Ses pièces sont tellement calquées sur la vie humaine, qu’elles peuvent servir de commentaire à toutes nos actions… » La phrase suivante, de Michel Montaigne, est l’épigraphe naturelle du théâtre de Shakspeare et de toute la haute littérature anglaise : « Rien de plus utile que la considération des natures et conditions des divers hommes… et coutumes des nations différentes… seul vrai sujet de la science morale. »

Les recherches érudites de Fraser Tytler et les narrations pittoresques du quaker Howitt, qui vient de publier un second volume sur les champs de bataille, monumens et antiquités de l’Angleterre, visités récemment par lui, partagent le succès populaire avec la correspondance de Baillie. La femme de Howitt est poète ; lui-même tourne assez agréablement les vers. Dans quelques stances fort élégantes adressées à mistriss Howitt, il fait ainsi l’éloge de sa vie nomade :

[début] « Oh ! la jolie vie, ma chère femme, ma femme aimée, quand je voyage ainsi, seul, sur la mousse et la colline de ces pays du Nord !

« Ne crois pas que je me lève avec le soleil ! Non pas. Je le laisse apparaître et monter dans le ciel, où bientôt l’alouette le suit et lui répond, où bientôt se joue le merle, frisant du bout de l’aile la chute de la cascade.

« Me voilà debout ; ma fenêtre s’ouvre, j’entends gronder délicieusement la mer, les vagues sont blanches, les voiles frémissent ; je vais recommencer ma tournée.

« La bruyère jaune me reconnaît et me salue quand je passe ; le genêt m’envoie des senteurs d’oranger et du midi ; les fleurettes cachées dans le gazon humide me rappellent ces doux matins de ma jeune vie, etc., etc. »

La poésie est devenue si rare en Angleterre, que ces jolies strophes peuvent passer pour une curiosité. Quant à l’érudition, aux réimpressions, aux traductions, elles surabondent. Ce goût pour les antiquailles intellectuelles, les vieux récits, les reliques de toute sorte, les notes à la Tallemand des Réaux, ce « tallemandisme, » si l’on nous pale un mot nouveau, qui va très bien à la chose, puisque Tallemand est le vrai type de la race des anecdotiers d’autrefois, s’empare de l’Europe entière, et n’est pas un des signes les moins frappans de la décadence. C’est là que se trouve l’intérêt, et non dans cette jachère insensée de romans mal venus, mal pensés et mal écrits, qui alimentent la vaine curiosité des douairières, des demoiselles de pen-

  1. Preface to the first quarto edition of Troïlus and Cressida, 1609.