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REVUE. — CHRONIQUE.

alliances monstrueuses avec des opinions qu’ils abhorrent, ceux qui s’efforceraient d’appeler au sein de la chambre les mêmes hommes auxquels, s’ils étaient les maîtres, ils croiraient devoir arracher jusqu’à la moindre parcelle de pouvoir.

Quoi qu’il en soit, l’arène est ouverte, et chaque parti se prépare au combat. Disons-le toutefois, on s’y prépare sans empressement, sans ardeur. Il n’y a point dans le pays de véritable agitation électorale. Ôtez les journaux, les candidats et quelques faiseurs officiels ou non officiels ; tout est calme, froid, indifférent. Il n’y a pas une question, pas un intérêt qui remue profondément le pays. C’est un débat qui va se vider dans l’étroite enceinte de la politique proprement dite. À peine si, hors des colléges électoraux, il y aura quelque curiosité.

Il n’est pas moins vrai que les candidats, leurs amis et leurs adversaires, leurs prôneurs et leurs détracteurs, s’efforcent d’animer la lutte et de la rendre quelque peu dramatique. La presse nous informe tous les jours des moindres incidens ; ces informations deviendront de plus en plus vives et nombreuses. Lisez seulement, et rien ne vous échappera de tout ce qui se passe de comique et de sérieux dans cette vaste arène.

Et d’abord voici un prodige des plus divertissans. Avec quelques hommes considérables et sérieux, une bande de pygmées se présente à l’entrée ; mais, comme on n’est admis qu’avec une certaine taille, la presse de tous les partis, armée d’un énorme soufflet, sue sang et eau pour grossir et grandir ces candidats. Ses efforts ne sont pas vains ; la transformation est complète. De grands orateurs, de grands publicistes, de grands administrateurs, économistes, jurisconsultes, savans, bref de grands citoyens, de grands réformateurs en tout genre, sont fabriqués en un clin d’œil pour le service électoral. Ajoutez que, parmi ces grands hommes, il y en aura d’une telle modestie, qu’ils n’ouvriront pas la bouche pendant toute la législature. Ceux-là seront à la fois de grands et vertueux citoyens.

La contre-partie est moins gaie. Elle se compose d’invectives, de dénigremens, d’insinuations malveillantes qui pleuvent de toutes parts contre de malheureux candidats ; la candidature devient pour eux une sorte de carcan, libre toutefois à chacun d’eux d’entretenir cette lutte ignoble en ramassant toutes ces ordures pour les rejeter à la face de l’adversaire.

Ces tristes moyens ne nous sont pas particuliers. L’Angleterre nous en a donné l’exemple et nous dépasse. Elle y ajoute une corruption pécuniaire qui a pénétré dans les mœurs, et que l’on ne peut réprimer.

En présence de tous ces faits, on est tenté de se demander : qu’est donc ce gouvernement qui paraît, par ses formes, autoriser ou du moins excuser l’intrigue, la médisance, le mensonge, peut-être même la corruption et la calomnie ? Ne serait-ce pas en effet un rêve d’utopiste que de se représenter un grand pays où les élections à la législature se passeraient avec une parfaite sincérité une parfaite loyauté, une parfaite bonhomie ?