Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/1040

Cette page a été validée par deux contributeurs.
1034
REVUE DES DEUX MONDES.

après être allée donner la sépulture aux ossemens abandonnés de ses enfans, elle se retire de cette terre de triste mémoire et rentre dans ses frontières naturelles, alors elle laissera derrière elle toute une race ennemie, ennemie par le sang, par la religion, par le souvenir de mutuelles et ineffaçables injures. Placés entre les deux peuples conquérans qui les pressaient aux deux frontières opposées et resserraient peu à peu l’espace autour d’eux, les Afghans devaient choisir pour ennemi le premier des deux qui les attaquerait. Les Anglais ont pris cette initiative, et désormais, quand les Russes voudront descendre sur ces pays qu’ils convoitent en silence, ils y seront reçus comme des libérateurs. Les Anglais avaient devant eux un rempart infranchissable, ils l’ont démantelé de leurs propres mains ; ils ont détaché une à une les pièces de cette armure de fleuves, de montagnes et de déserts dont la nature avait enceint leur empire. Ainsi s’est accomplie la mémorable prédiction du duc de Wellington, que leurs revers commenceraient le jour même de leur triomphe. Jacta est alea. L’Angleterre a passé le Rubicon : Dieu seul et l’avenir savent ce qui l’attend sur l’autre rive.


John Lemoinne.