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salle par un grillage de bois (tirlie). On voit le mélancolique visage de Charles Ier, pâle, avec sa moustache et sa royale aiguë, apparaître derrière ce grillage ; et bientôt, pour qu’on sache qu’il est là, qu’il est furieux, il brise, dans un mouvement de colère affectée, le tirlie qui le sépare du peuple. Derrière lui sont des seigneurs français, des dames françaises, des catholiques, ce que les bourgeois et les communes abhorrent le plus. On ne fait pas la moindre attention à Charles et à sa cour ; les pairs gardent leurs feutres sur le coin de l’oreille. Ne voyez-vous pas que ce roi est mort ?

« Il y avait, dit Baillie, des dames dans les travées qui avaient payé fort cher pour voir le procès, et c’était plein comme un œuf ; une glorieuse et magnifique assemblée, mais nullement grave. À la porte, le peuple faisait un grand vacarme. À l’intérieur, avant et après les interrogatoires, dans les intervalles des défenses et des répliques, les pairs se levaient, marchaient, causaient, chantaient, et les membres des communes en faisaient autant. Comme il s’agissait de rester enfermé dans le même lieu pendant dix heures de suite, on mangeait, on buvait, non-seulement des pâtisseries et de l’eau, mais des côtelettes, du vin, de la bierre ; les bouteilles passaient de main en main et de bouche en bouche ; point de verre, on buvait à même ; tout cela devant le roi, sans le plus léger respect. Beaucoup même (good heaven ! juste ciel ! s’écrie Baillie) se levaient[1]… par-dessus les banquettes. Il n’y avait pas moyen de sortir avant quatre heures ! »

La dignité de l’histoire, la majesté de l’histoire, s’évaporent ainsi, et font place à la plus infime réalité. Mais Strafford, au milieu de ces bouteilles sans verre, de ces morceaux de pain et de viande, et de ce tumulte grossier, Strafford, la grande proie, la victime désignée, que devient-il ? — « Toujours en noir et très simple, dit Baillie, comme en deuil… En entrant, il saluait doucement ; trois pas, nouveau salut ; un troisième salut en arrivant à son pupitre, où était une bible devant laquelle il s’agenouillait ; puis il se relevait vivement et s’asseyait. D’ailleurs calme comme à son ordinaire : au milieu du plus grand bruit, pendant les causeries, bavardages, orangeries, badinages, il se penchait, parlait sérieusement et tranquillement à ses secrétaires, comparait ses notes avec les leurs et écrivait. » Harcelé par ses ennemis, Pym, Maynard, Glyn, Stroud, et tous les mirmidons cruels qui se chargent de faire

  1. They compisst all… above and under the benches…