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LES ANGLAIS DANS LE CABOUL.

histoire, et qui finit par s’évanouir d’une manière inconnue ; il refusa de ratifier les traités conclus par son agent avec les chefs afghans ; enfin il céda tout, rétracta tout, et lord Palmerston fut obligé de déclarer que les explications de M. de Nesselrode étaient « parfaitement satisfaisantes. » Qu’importait à la Russie ? N’avait-elle pas accompli son œuvre ? n’avait-elle pas creusé une mine sous ce terrain qu’elle semblait abandonner, et semé une traînée de poudre sur la route des Anglais ?

Nous avons donné ailleurs[1] l’histoire de l’expédition de 1839, de la conquête de l’Afghanistan et du massacre qui la suivit deux ans après. Alexandre Burnes fut frappé le premier. Le dernier courrier de l’Inde a apporté quelques détails sur sa mort. La veille du jour où éclata l’insurrection, on vint le prévenir qu’il y avait de l’agitation dans la ville, on l’engagea à quitter sa résidence et à se retirer dans le camp. Il répondit qu’il avait toujours fait du bien aux Afghans, et qu’il était sûr qu’ils ne lui feraient point de mal. Le lendemain, un Indien qui le servait le réveilla à trois heures du matin, et lui dit qu’il y avait du tumulte. Burnes se leva et s’habilla, mais il refusa de se réfugier dans le camp, qui était hors la ville, en disant : « Si j’y vais, les Afghans diront que j’ai peur, et que je prends la fuite. » Cependant il fit fermer les portes de sa maison, mais le peuple, qui s’amassait rapidement, apporta du bois et mit le feu aux portes. Alors Burnes chercha une issue par le jardin, et sortit déguisé. À peine fut-il dans la rue, qu’un de ses gens le trahit et cria : Voilà le colonel Burnes ! Des centaines d’hommes se ruèrent sur lui, et le coupèrent en morceaux. Son frère fut tué avant lui, et tomba sous ses yeux

L’Angleterre le vengera : elle demandera sang pour sang, larmes pour larmes. Treize mille morts, et des femmes prisonnières avec leurs enfans, appellent les uns la vengeance, les autres la liberté. Mais qu’enfanteront ces stériles représailles ? Quand l’Angleterre aura écrasé ces tribus sauvages, quand elle aura repris ces villes échappées de sa main, que fera-t-elle du fruit deux fois ensanglanté de sa conquête ? Si elle fait de cette partie de l’Asie un nouveau pays tributaire, si elle l’ajoute à cet énorme empire que déjà ses bras peuvent à peine contenir, elle n’y pourra régner que par la force, et épuisera son trésor et ses armées sur ce sol ingrat. Si au contraire,

  1. Voir la Revue du 15 mars.