brûlé tous ses papiers. La Russie, comme on le voit, avait aussi à son service des hommes de première trempe.
L’arrivée de l’elchee russe donna une nouvelle activité aux négociations. On peut voir ici quelle immense supériorité les gouvernemens absolus ont sur les gouvernemens constitutionnels dans le maniement des affaires extérieures. Tandis que le malheureux Burnes écrivait jour par jour à son gouvernement pour demander des instructions, et voyait ses dépêches contrôlées par les résidens intermédiaires qui les faisaient passer dans l’Inde, l’agent russe n’écrivait rien, parlait peu, et agissait. Cette unité et cette rapidité de décision étaient de nature à produire une grande impression sur les princes de l’Asie, que fatiguaient les tergiversations du gouvernement de l’Inde. Il faut voir avec quel dédain l’envoyé russe parlait de la politique parlementaire : « L’empereur de Russie, disait-il à l’émir, est maître chez lui ; il peut agir de lui-même, promptement, et sans perdre du temps à consulter les autres. Le gouvernement anglais fait ses affaires par un conseil, qui ne fait qu’engendrer des délais. Alliez-vous avec la Russie, où on ne voit pas de pareils inconvéniens[1].
L’elchee russe avait de pleins pouvoirs, il promettait tout. Il disait aux émirs : « La Russie est toute-puissante en Perse ; si vous voulez aider le shah (contre Hérat), tirez de l’argent sur lui, et s’il ne paie pas vos billets, le gouvernement russe les paiera, mais ne vous alliez pas avec la nation anglaise[2].
« Les Anglais ont précédé les Russes dans la civilisation pendant plusieurs générations ; mais maintenant les Russes sont réveillés de leur sommeil, et ils cherchent des possessions et des alliances étrangères. Les Anglais ne sont point une nation militaire, ils ne sont que les marchands de l’Europe (the marchants of Europe)[3]. »
Burnes, à son tour, ne restait pas inactif. C’est un spectacle plein d’attrait que celui de la lutte sourde de ces deux hommes. Voici deux Européens accomplis qui se rencontrent dans un pays presque inconnu, à quelques centaines de lieues de leur patrie ; tous deux sont lettrés et instruits, tous deux ont fait de lointains et romanesques voyages, dont ils pourraient causer le soir dans leur langue au