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coup au commerce ; mes hostilités avec les Sikhs épuisent mes ressources, me forcent à prendre de l’argent aux marchands, et à élever les tarifs. Voilà les misérables expédiens auxquels je suis réduit pour conserver mon honneur… Je sais bien que cet ennemi est trop fort pour moi. Mes fils et mon peuple peuvent s’exagérer mes succès, mais nous sommes dix fois moins forts que le Pundjab. Si le gouvernement britannique voulait me conseiller, je m’engagerais en retour à seconder toutes ses vues commerciales et politiques[1]. »

L’émir se mit alors à parler de l’ancienne monarchie douranie, et de sa splendeur passée, puis, montrant la citadelle du Bala-Hissar où il était assis avec Burnes, il lui dit : « Voilà tout ce que j’ai recueilli de ce vaste empire ! »

Cependant Dost-Mohammed et ses frères du Candahar avaient déjà entamé des négociations avec la Perse et la Russie. L’Angleterre refusant son intervention, la Russie offrait naturellement la sienne. L’agent du Dost à Téhéran lui écrivait : « Le shah m’a chargé de vous dire qu’il enverrait bientôt un elchee (ambassadeur) auprès de vous d’abord, puis à Runjeet-Singh, pour lui expliquer que, s’il ne veut pas vous restituer les provinces afghanes, il doit s’attendre à recevoir la visite des armées persanes. L’ambassadeur russe, qui est continuellement avec le shah, vous envoie une lettre. La substance de son message verbal est que, si le shah exécute tout ce qu’il promet, tant mieux ; que sinon, le gouvernement russe vous fournira tout ce que vous voudrez. Le but de l’elchee russe est d’ouvrir un chemin chez les Anglais, ce qui les tourmente beaucoup[2]. »

Burnes, en envoyant ces papiers à lord Auckland, ajoutait : « S’il fallait une preuve des encouragemens que la Russie donne à la Perse pour étendre son influence à l’est, ces papiers en serviront, car l’ambassadeur russe commence lui-même la correspondance avec le chef de Caboul, et lui promet l’appui de sa cour, à défaut de celui du shah. »

C’est ici que l’envoyé anglais emploie toute sa diplomatie pour déterminer le chef de Caboul à rompre avec la Russie. Un des chefs du Candahar se décide à envoyer son fils à la cour de Perse ; le Dost lui écrit pour le détourner de ce projet, et lui dit : « Il est bien connu que la puissance des Sikhs n’est rien auprès de celle des Anglais ; si nous pouvons avoir ceux-ci pour nous, cela n’en vaudra que mieux. Que peux-tu gagner à envoyer ton fils en Perse ? Si les Anglais ne

  1. C. Burnes to W. Mac-Nachten, esq., Cabool, 5 october 1837.
  2. Correspondence, P. 6, no 2.