populaires, s’est ruée sur le gibier royal. Strafford, impérieux, hautain, violent, généreux, comme il convient à son rôle, voit venir de loin sans faiblir cette troupe hurlante. Il se prépare d’abord à se défendre, puis à mourir. Il est malade, languissant et pâle ; toutes les passions humaines, depuis l’amour passionné jusqu’à l’ambition dévorante, ont épuisé ce corps vigoureux. Du roi, rien à espérer : Charles Ier, colère et faible comme une femme, l’aime, le regrette, sent ce qu’il va perdre, et l’abandonne à la fureur des communes, tout en protestant contre sa propre lâcheté. La masse puritaine, la majorité de la Grande-Bretagne, l’Écosse tout entière, les bourgeois et les bourgeoises, les artisans et les artisanes, les saints et les saintes, tout ce qui est entraîné par le mouvement commun, tout ce qui est vulgaire et enflammé réclame la tête du ministre ; elle pavera la route, et l’on arrivera au roi.
Voici donc la grande salle de Westminster, où l’on a commandé tant de meurtres et dont les vitraux rouges paraissent sanglans sous la transparente clarté de l’histoire, cette salle haute et large que rien ne soutient et qui étonne le regard, ce lieu où Henri VIII s’est assis pour tuer légalement, où Élisabeth s’est assise pour tuer despotiquement, où Marie Tudor s’est assise pour tuer théologiquement. Elle s’ouvre, le 22 mars 1641, aux juges de Strafford et à notre ami, le gros Baillie, qui a soin de s’y rendre « à cinq heures du matin[1], » tant la foule s’y presse et tant cette affaire l’intéresse. Il va tout nous dire, les choses, les hommes, le mobilier, la largeur, la longueur, les costumes, les robes rouges des juges, les robes noires des greffiers, les hermines des pairs assis sur leurs banquettes vertes, le comité des dix, nommé par les communes pour attaquer et poursuivre Strafford, et Pym à leur tête, et le petit pupitre réservé à Strafford, et derrière ce pupitre le grand bureau de ses quatre secrétaires ; puis les douze gradins s’élevant jusqu’au plafond pour la chambre des communes, enfin un bataillon de piquiers à la porte pour empêcher le peuple d’entrer. La scène n’est-elle pas solennelle, précise, dramatique ? Le député écossais arrive vers cinq heures du matin, se fait donner une place de faveur (the canny fellow ! l’homme adroit !) parmi les communes, et attend que le spectacle commence. Il ne commence qu’à huit heures. Le roi vient alors s’asseoir, non dans la salle même, cela lui est défendu, mais dans une chambre séparée de la grand’-
- ↑ « We always behoved to be there, a little after five in the morning. » (Baillie, Lett. 12.)