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royaume de Lahore, à cette époque, est exactement celle de la Turquie et de l’Égypte en 1840. Le roi de Lahore a pris Pechawir aux Afghans comme le pacha d’Égypte a pris la Syrie au sultan. Cependant le chef de Caboul n’attend que le moment et l’occasion de ressaisir ce membre détaché de son empire, tandis que l’Angleterre, qui voit l’équilibre asiatique compromis, le retient de toutes ses forces. Mais un jour Dost-Mohammed, comme le sultan Mahmoud, jette le fourreau de son épée et engage les hostilités. Aussitôt lord Auckland se hâte d’envoyer Burnes entre les deux armées, tout-à-fait comme M. le maréchal Soult, après la bataille de Nezib, envoyait un de ses aides-de-camp en guise de Sabine avec une branche d’olivier pour séparer la prétendue armée turque et la prétendue armée égyptienne. Burnes reçut l’ordre de se rendre immédiatement auprès de Dost-Mohammed et de lui offrir les bons offices du gouvernement anglais pour amener un arrangement à l’amiable. N’est-ce pas là l’histoire fidèle de la fameuse « note collective, » cet enfant mort-né du ministère du 12 mai ?

Burnes fut donc forcé d’abréger son voyage. Il remonta rapidement l’Indus et arriva à Attock, le 7 août, après avoir couru quelque péril sur le fleuve, ce qui fit dire à un de ses bateliers : « Les Feringees (les Européens) ne changent point de couleur dans le danger. » À Pechawir, il trouva le général Avitabile, qui lui fit le meilleur accueil, et, le 3 septembre, il traversa le col de Khyber, ce défilé célèbre que les troupes anglaises viennent de forcer pour pénétrer dans le Caboul. Burnes n’avait pour toute escorte que quelques indigènes ; quand il approcha de Caboul, Ackbar-Khan, le fils du Dost et le chef futur de l’insurrection, vint au-devant de lui, et ils entrèrent dans la capitale assis sur le même éléphant. Le représentant de l’Angleterre, entra triomphalement dans cette ville qui devait lui servir de tombeau ; le peuple s’assemblait autour de lui dans les rues, et criait : Ayez soin de Caboul ! ne détruisez pas Caboul !

Les négociations politiques que Burnes entama immédiatement avec Dost-Mohammed, et sur lesquelles nous reviendrons, ne l’empêchèrent point d’observer encore les mœurs de ce pays, qu’il avait déjà traversé. Pendant qu’il restait lui-même à Caboul comme au centre de l’action, ses entreprenans compagnons se répandaient dans le pays. On suit avec un intérêt profond les traces de ces braves et intelligens pionniers qui s’en vont plantant les jalons de la conquête pour les armées qui les suivront un jour, et on répéterait volontiers