une nation douée d’un aussi indomptable esprit d’entreprise, et que la nécessité, autant que l’ambition, pousse à s’ouvrir toujours de nouvelles voies ! Plus on étudie l’histoire de l’Asie dans ces dernières années, plus on arrive à la conviction que l’Angleterre ne pouvait reculer devant cette guerre désastreuse de l’Afghanistan, et que, loin de s’être laissé entraîner par une ambition inconsidérée, le gouvernement de l’Inde n’a fait qu’obéir aux nécessités fatales de sa position. Les documens communiqués au parlement prouvent que le conseil suprême de l’Inde, avant de se jeter dans cette ruineuse expédition, avait calculé les compensations que pourraient lui apporter l’ouverture de nouvelles voies de communication et l’extension des débouchés commerciaux. L’Angleterre ne fait jamais la guerre par sentiment ; elle n’aime point « l’art pour l’art ; » pour elle, la conquête est un moyen, jamais un but. Son but, cette fois, était d’arriver avant la Russie sur les marchés de l’Asie occidentale, et de remplacer la mer Noire par l’Indus. C’est ce que pressentait avec une rare intelligence le lieutenant Wood, que Burnes avait chargé d’explorer l’Indus, et qui terminait son rapport en disant : « Ainsi, s’il arrivait qu’une guerre générale exclût l’Angleterre de la mer Noire, l’Indus offrirait encore un égal débouché aux produits de ses manufactures. » Pour juger de l’importance prédominante qu’a prise l’Indus dans l’avenir de l’Inde anglaise et de l’industrie de la métropole, il faut lire le long et remarquable rapport que Burnes adressa au gouvernement suprême sur l’établissement projeté d’un entrepôt commercial. Dans ce rapport, qui a été universellement regardé comme un admirable travail, et qui jette un grand jour sur la situation et les mœurs commerciales de cette partie de l’Asie, Burnes proposait la création d’une foire annuelle sur les rives de l’Indus, destinée à servir de centre à toutes les caravanes qui remontent et descendent le fleuve. « Je ferai d’abord observer, disait-il, que l’établissement d’une foire périodique dans ces pays ne serait pas une innovation ; ce système est connu de toutes les nations asiatiques ; il a été suivi avec le plus grand succès en Russie, il existe dans toute sa force dans le Turkestan, il n’est pas inconnu dans le Caboul, et est familier depuis long-temps aux indigènes de l’Inde. La célébration d’une cérémonie religieuse, ou la réunion éventuelle d’une masse d’hommes pour quelque objet que ce soit, suggère naturellement au marchand l’idée d’une occasion favorable de vendre ou d’acheter, et c’est à cela sans doute que l’on doit la première institution de ce mode de trafic, qui était autrefois universellement connu dans notre propre pays et tous les royaumes de l’Occident.
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