Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/1021

Cette page a été validée par deux contributeurs.
1015
LES ANGLAIS DANS LE CABOUL.

des Afghans Louhanis, tel que Burnes l’a retracé ; aussi le laissons-nous parler :

« Les Afghans-Louhanis, dit-il, sont un peuple pasteur et nomade. Beaucoup d’entre eux se rendent tous les ans dans l’Inde pour acheter des marchandises, et, se rassemblant ici (à Dera-Ghazi-Khan) vers la fin d’avril, avec leurs familles qui ont hiverné sur les rives de l’Indus, ils passent dans le Koraçan, où ils restent pendant l’été. Ils opèrent ce changement de résidence par ordre et en trois divisions ou kirees, ce qui veut dire, je crois, migrations ; ces kirees portent les noms respectifs de Nusseer, Kharoutee et Meeankyl, qui sont aussi les noms des tribus principales. La première est la plus nombreuse, et mène avec elle de 50 à 60,000 têtes de troupeaux ; cependant c’est avec la dernière que les marchands hindous et étrangers voyagent le plus habituellement. L’étendue et l’importance du commerce peuvent se juger d’après les livres de douane qui marquent que cette année (1837) il est passé 5140 chameaux chargés de marchandises, sans compter ceux qui portaient les tentes et le bagage et qui étaient au nombre énorme de 24,000, 17,000 pour les Nusseers, 4000 pour les Meeankyls, et 3000 pour les Kharoutees. Ils arrivent tous à Caboul et à Candahar vers le milieu de juin, assez à temps pour expédier leurs marchandises à Bokhara et à Hérat ; puis à la fin d’octobre, aux approches de l’hiver, ils redescendent dans le même ordre vers la plaine de l’Indus, emportant des chevaux, des fruits et des produits du Caboul, pour échanger avec les produits de l’Inde et de l’Angleterre. »

La route n’est pas nouvelle. L’empereur Baber, en 1505, rencontra et pilla des caravanes louhanies. Mais les traditions contemporaines racontent un fait qui peut donner la mesure de l’incomparable génie mercantile de l’Angleterre. Pendant le blocus continental de l’empire, les marchandises anglaises, expulsées du continent, s’en allaient par les Indes, par Caboul et par Bokhara, remplir les marchés de la Russie. Ainsi, tandis que Napoléon, maître absolu de l’Europe, l’étreint dans un cercle de fer, et que, pour asphyxier l’Angleterre dans la fumée de son charbon et l’étouffer dans l’atmosphère de ses manufactures, il lui ferme toutes les issues du continent, les victorieux ballots de coton s’échappent silencieusement par les mers ; débarquant aux extrémités de l’Asie, ils remontent des fleuves inconnus, et, après avoir fait le tour du monde, ils arrivent triomphans jusque dans ces ports qui leur étaient fermés, et presque en face de la rive d’où ils étaient partis. Que ne ferait pas