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par un bonhomme né en Écosse, et qui, résidant en Angleterre, ne voulait pas laisser sa femme sans nouvelles du mari qu’elle aimait. Excellent Baillie de Kilwinning, que Dieu et l’histoire te bénissent ! Tu es bien ennuyeux et bien diffus, si l’on juge tes mauvaises phrases d’après les règles de la rhétorique et de la grammaire ; mais chacune de ces phrases est précieuse si l’on réfléchit à la merveilleuse transparence qu’elles prêtent au passé, à la façon dont elles éclairent l’époque la plus digne d’étude, la scène politique la plus étonnante parmi celles qui ont précédé l’épopée dramatique qu’on nomme révolution française, et que nous avons vu commencer par le prologue intitulé Voltaire, pour se terminer par l’épilogue intitulé Napoléon.

Tout le monde sait de quoi il était question dans ce procès de Strafford, ministre de Charles Ier, ministre sur lequel le peuple essaya sa force, et qui périt pour avoir voulu consolider une monarchie absolue qui s’en allait. Ce n’est pas chez Lingard ou chez Hume qu’il faut lire ce récit, mais chez notre canny man Baillie. Rien de plus curieux et qui émeuve davantage une ame un peu héroïque, rien de plus touchant dans le drame ou l’histoire que ce procès, tel qu’il est ingénument et longuement reproduit par notre bavard Écossais, principal de l’université de Glascow. Il assiste à toutes les séances sans en manquer une, et il y en a seize. Chaque séance commence à cinq heures du matin, et finit à quatre heures de l’après-midi. De retour chez lui, Baillie, qui se trouve au nombre des ennemis de Strafford, Baillie puritain, et puritain d’Écosse, député par les adversaires les plus sérieux du ministre accusé, rédige son journal épistolaire ; et c’est là qu’il faut voir le vrai Stafford, ce beau lion traqué, cette noble proie aux abois, ce puissant caractère, sur lequel tombent pour le déchirer tous les vautours de la loi, toutes les rages populaires, avoués, huissiers, péroreurs, orateurs, chefs de parti, surtout Pym, son ancien ami : « Strafford ! Ta tête est l’enjeu de la partie ! » Ni Hume, ni Smollett, ni Adolphus, ni Mackintosh, n’ont reproduit cette scène de Westminster-Hall dans la force saillante de sa simplicité historique. Le pinceau de l’histoire est toujours pâle. Nos gens d’étude et de cabinet se trompent. Les hommes sont plus hideux et plus grands que cela.

On sera sans doute curieux de chercher dans les pages de Baillie les menus détails du procès de Stafford. Quand Baillie arrive à Londres, déjà Strafford est arrêté par ordre des communes. La chasse est commencée. La meute dirigée par Pym, encouragée par les fanfares