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siasme. Je suis allé à l’Institut, où j’ai vu Arago, Biot, Dassault le politique. J’ai vu le baron Larrey lire un mémoire, Magendie aussi. »

Burnes n’avait alors que vingt-neuf ans ; il n’était qu’un simple lieutenant de la compagnie des Indes, et cependant il était courtisé par toute l’aristocratie, étant devenu véritablement ce qu’on appelle dans son pays le lion de la saison. Le gouvernement de la métropole voulut se l’attacher, et lui offrit le secrétariat de la légation de Perse, mais il refusa d’abandonner son cher Indus, le théâtre de sa gloire. Il écrivait alors : « Je me moque de la Perse et de sa politique ; ce n’est qu’une misère. Qu’est-ce qu’un grade de colonel pour moi ? Je vise à plus haut, et je mourrai ou j’y arriverai… Je ne veux pas être le second quand je puis être le premier… Ma plus grande gloire est d’avoir fait, si jeune, ce que j’ai déjà fait. »

Il resta dix-huit mois en Angleterre, et repartit pour l’Inde en avril 1835, en prenant par la France, l’Égypte et la mer Rouge. Il fit un nouveau voyage dans le Sindy, et vers la fin de 1836, son gouvernement, comprenant de plus en plus la nécessité de s’assurer du cours de l’Indus, qui devait devenir la grande route du commerce de l’Asie, le chargea d’une mission géographique, commerciale, et plus tard politique, auprès des émirs du Sindy et des émirs de l’Afghanistan. C’est de cette mission qu’Alexandre Burnes a donné l’histoire dans l’ouvrage intitulé Cabool en 1836, 7 et 8.

Il est impossible de lire sans tristesse la dédicace de ce livre. C’est la dette du cœur et de la nature que Burnes paie à son vieux père avant de mourir ; mais ces novissima verba ont cela de particulièrement touchant, que celui qui les écrit n’a pas le moindre pressentiment de sa fin prochaine, et semble au contraire en pleine possession de cette vie qui va lui échapper. Le livre est dédié à son père, avec ces mots :

Comme un témoignage de mon affection pour un père auquel je dois tout ce que j’ai au monde, qui, après m’avoir entouré de sa tendresse pendant mon enfance, m’a associé de bonne heure à ses travaux, et m’a appris à penser et à agir comme un homme, quand presque tous mes compagnons n’avaient pas même acquis les premiers élémens de leur éducation.Alexander Burnes. »

Ces lignes, où respirent un si confiant orgueil, une si fière satisfaction de soi-même, sont datées de Caboul, le 16 mai 1841. Dans cette même ville, sept mois plus tard, Burnes tombait sous le pistolet