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LES ANGLAIS DANS LE CABOUL.

l’amitié de ceux dont les intérêts ne s’accordent point avec les siens, et ne perdant aucune occasion de leur faire du mal sans rompre ostensiblement ses traités avec eux. »

Il est impossible de mieux caractériser la politique russe, et ce qui doit irriter et exaspérer les Anglais, c’est qu’ils ne peuvent prouver ces affronts qu’ils ressentent et qu’ils sont obligés de dévorer, c’est qu’ils ne peuvent rendre ces coups déloyaux qui leur sont portés par des mains étrangères. La Russie ameute contre l’Inde des souverains et des peuples de paille, et quand l’Angleterre, perdant enfin patience, passe sur le corps de ces misérables ennemis, et fait une trouée désespérée jusqu’au cœur de l’Asie, elle trouve son imperturbable rivale tranquillement assise sur sa frontière, faisant, pour nous servir d’une expression populaire, faisant l’innocente, levant les bras au ciel, et jurant son grand dieu, ou ses grands dieux, y compris son empereur, qu’elle ne pense pas à mal et l’Angleterre est obligée de se contenter de ces protestations, de se taire et d’attendre !

C’est pourquoi il est permis de sourire avec une certaine incrédulité quand on voit un ministre anglais déclarer en plein parlement que jamais la Russie et l’Angleterre n’ont été dans des relations plus étroites et plus amicales. La Russie peut se croiser les bras et regarder l’Angleterre se débattre sous cette flèche traîtresse qu’elle lui a lancée à la façon des Parthes, en tournant le dos ; mais elle ne s’endort pas sur la foi de cette prétendue crédulité : elle a entendu, comme nous tous, la voix populaire l’accuser et la maudire ; elle a vu, à la nouvelle de l’affreux massacre de Caboul, un seul nom, un nom exécré, sortir spontanément de toutes les bouches anglaises, et ce nom, c’est celui que l’Angleterre rencontre éternellement devant elle, en Turquie, en Perse, dans l’Inde, dans la Chine, partout et toujours.

Parmi les hommes qui avaient l’instinct de cette rivalité profonde, il n’en est pas un qui l’ait exprimé avec plus de passion, d’énergie et de persévérance que l’héroïque et malheureux Burnes, la première victime des vêpres siciliennes de Caboul.

Alexandre Burnes était né à Montrose, en Écosse, le 16 mai 1805 et son père est encore un des magistrats du comté de Forfar. Il était petit-neveu et portait le nom d’une des illustrations littéraires de l’Écosse ; c’était son aïeul qui avait porté les derniers secours au poète Burnes mourant dans la pauvreté. Après de très brillantes études au collége de Montrose, Alexandre Burnes fut nommé cadet dans l’armée de Bombay, et il arriva dans cette présidence le 31 oc-