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LITTÉRATURE ANGLAISE.

mêlé ; mais c’est un lingot. La profonde ignorance où nous sommes en France des littératures étrangères, n’a pas même laissé arriver jusqu’à nous les noms de ces prosateurs originaux et puissans, Burton, Barrow, Taylor, Fuller, doués de toutes les belles qualités de l’esprit, si l’on excepte la régularité et le choix. Rien de plus rare que ces intelligences étendues, souples et profondes, qui comprennent et embrassent tous les modes de perception et d’existence. La variété et la facilité de leurs évolutions les font regarder comme futiles ; la largeur de diamètre qu’elles embrassent les fait passer pour vagues et flottantes. Telles étaient cependant les intelligences supérieures d’Aristote parmi les philosophes, de Shakspeare parmi les poètes, de Goethe parmi les polygraphes, de Cuvier parmi les naturalistes. Il ne faut pas bannir et mépriser ces esprits, qui sont les plus grands et qui sont aussi les plus précis ; il ne faut pas leur préférer les intelligences froides, médiocres et rangées, qui, parquées dans un étroit espace, l’exploitent avec acharnement, et qui semblent grandes parce que leur cadre est petit.

Fuller, malgré ses défauts, est un écrivain très distingué. Baillie ne sait pas écrire ; mais ce dernier est plus malin, plus fin, plus mondain, mieux informé des affaires. Ce brave Écossais, dont l’embonpoint, la sagacité, l’œil brillant et vif, l’attention soutenue, et le beau sang-froid ne se démentent pas au milieu des scènes les plus sanglantes, nous plaît partout en ce qu’il ne prétend pas être auteur. La littérature purement littéraire lui semble peu de chose. Écrire pour briller, c’est métier de baladin. Notre homme raconte à sa femme ce qu’il a vu, ce qu’il a fait, ce qu’il a dit, ce qu’on a dit auprès de lui ; ses lettres renferment un journal très naïf. Les mots écossais, les expressions familières, les fautes d’orthographe, y abondent. Devinez si vous pouvez que crevishes veut dire écrevisses, et que tarter veut dire causer. Sachez que tirlies signifie un grillage, et que les mots merk, marc, marke, mercke, sont le même mot, « marc d’argent, » monnaie d’Écosse. Il faut une certaine étude lente, passablement d’ennui, une intensité d’attention assez soutenue, et un courage de vieux savant, pour déchiffrer toute l’énigme proposée par notre Baillie. Alors seulement on est payé de sa peine. On aperçoit ce grand théâtre de 1637, dont il fut un comparse utile et un amusant accessoire. On découvre la tragédie, la comédie, la farce, le grotesque, le terrible, le pathétique, et la profondeur de cette époque, avec ses élémens de crime et de vice, de grandeur et de vertu. On la voit tout entière, à travers cette petite et faible trouée, pratiquée vers 1640