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Toulouse, dans ses prétentions poétiques, n’est guère plus modeste que dans ses prétentions municipales, et elle se croit encore, comme au temps d’Isaure, l’Athènes de la langue d’oc. Du reste, la supériorité poétique du midi sur les provinces du centre, de l’est et du nord, me paraît incontestable, et il est incontestable aussi que la valeur littéraire des écrivains des départemens est en rapport direct avec l’importance des villes qu’ils habitent. N’en déplaise au charabia parisphobe, c’est un nouvel argument en faveur de Paris.

Depuis Louise Labbé et Mme Deshoulières, le cercle de l’inspiration s’est singulièrement étendu pour les filles d’Ève, et, en dépit de la critique qui aime à railler et des maris que la gloire effraie, elles ont goûté tous les fruits savoureux de la poésie, comme autrefois leur mère, dans le paradis, goûtait, en dépit de Dieu même, les pommes fatales de la science. Les plus aventureuses se sont jetées dans les hérésies sociales ; les plus modestes se sont contentées de déclarer que Dieu ne les avait point créées pour broder. Toutes se sont émancipées ; mais distinguons, car il y a deux classes tranchées parmi nos muses, les dames et les demoiselles, la muse mariée et la muse à marier, poetriæ picæ, comme dit Perse en parlant des bas bleus de Rome. La demoiselle, tout en courant les hasards de la publicité, baisse les yeux avec la candeur des jeunes pensionnaires ; elle chante les papillons, la cloche du soir, ses amies, la Vierge, la première communion ; c’est à peine si elle laisse échapper quelque vague soupir aussitôt refoulé. En mûrissant, elle ose plus, et le pli douloureux de la première ride la jette en d’ineffables rêveries. Aux derniers jours de l’été, elle pleure le printemps, elle regrette ce que regrette la vieille de Béranger, elle accuse le siècle qui ne l’a pas comprise, et se compare à une fleur. La muse mariée a des allures plus franches ; elle aime la gloire et chante les braves. Sous la restauration, elle quêtait pour les Grecs et célébrait Missolonghi ; après juillet, elle a ajouté une corde à sa lyre, à l’occasion des trois jours, de la guerre d’Afrique, de la Pologne ou des batailles de Versailles. Quelquefois même elle intervient dans la politique active, et prépare, à l’aide du dictionnaire des rimes, la prochaine révolution qui doit rendre à son sexe son véritable niveau social. Par malheur, la bataille et la politique n’ont, le plus souvent, donné que des inspirations malencontreuses. Si l’encre sied mal aux doigts de rose, que sera-ce donc de la poudre ? On le voit, la femme poète n’est pas toujours un progrès sur la femme savante ; mais, lorsqu’elle chante l’amour, elle est loin des précieuses. Je reprochais aux rêveurs le spiritualisme exagéré de leurs passions ; j’adresserai à quelques unes de nos femmes poètes le reproche contraire. Il en est qui ont parfois des alexandrins éhontés, ce qui n’exclut pas une certaine tendance mystique. Il est vrai que, dans l’inévitable profession de foi des préfaces, ces dames déclarent qu’elles croient à Dieu et à l’amour ; elles prient leurs anges gardiens, tout en rêvant d’un jeune homme aux yeux noirs. J’ai beau lire et relire cependant, je ne comprends pas les Sapho chrétiennes ; je ne comprends pas qu’on s’inspire en même temps de sainte Thérèse et de Parny. Cette fois