industriels pour plaire à la fortune ; quand ils auront gagné ses faveurs, ils jetteront cette honteuse livrée, et redeviendront des poètes. Si c’est là leur vœu caché, leur secrète espérance, qu’ils prennent garde, et qu’ils se souviennent du terrible axiome sur lequel M. de Musset a construit son drame de Lorenzaccio : « On ne joue pas impunément avec le mal. » En ce moment, sans doute, ils ont toujours des heures de jouissances élevées ; quand ils s’arrêtent un instant pour écouter ce qui se passe dans leur ame, ils sentent que l’amour de l’art y tressaille encore ; cette perception confuse leur suffit et les rassure. Un instant viendra où ils prêteront en vain une oreille attentive ; ils n’entendront plus rien : la poésie se sera retirée de leur cœur comme la poésie s’était retirée du cœur de Lorenzaccio.
La plaie qui ronge en ce moment la littérature doit changer la face de la critique en lui imposant des obligations nouvelles. La critique ne saurait plus entreprendre désormais d’analyser tous les livres qui paraissent. Ce serait une tâche impossible. Les romanciers ont créé eux-mêmes pour leurs œuvres, par leur fécondité déplorable, un océan d’oubli semblable à celui où s’engloutissent les produits de la presse quotidienne. Il serait insensé de vouloir arrêter au passage chacun des monceaux de volumes qui tombent tous les mois dans ce gouffre sans fond. Ce n’est plus aux écrits, c’est aux écrivains qu’il faut s’en prendre ; c’est la vie littéraire qu’il faut attaquer. Certes, il y a là de tristes mystères, des obstacles presque insurmontables, des dégoûts presque invincibles. Voilà pourquoi tout à l’heure encore nous avons mieux aimé rester dans les sentiers battus de l’analyse que d’entrer dans ces pénibles routes. Et pourtant, dans l’intérêt de l’art, on sera bien forcé de s’y engager ; car, sur des écrivains qui s’égarent, il peut y avoir une critique utile, tandis que, sur des œuvres sans valeur, il ne peut y avoir qu’une critique sans portée