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tique, il me conduit au milieu d’une fête, je veux voir l’aspect de cette fête. Or, l’auteur de Dona Olimpia ne satisfait aucune des curiosités légitimes qu’il éveille. M. Delécluze appartient, en fait de style, à la moins coloriste de toutes les écoles. Même dans celles de ses œuvres d’imagination où l’on trouve d’ailleurs le plus de mérite, les teintes sont toujours froides et grises. C’est un de ces hommes auxquels échappent également la lumière verte, la fraîcheur éclatante des rives du Rhin, et la lumière fauve, la poussière dorée des campagnes de Rome. Du reste, chez lui, cette absence de la couleur vient moins peut-être de l’impuissance que d’une espèce de mépris pour le plaisir sensuel qu’elle nous donne. C’est ce que semblent indiquer dans Dona Olimpia quelques phrases d’une raillerie sèche et austère, jetées au commencement d’un chapitre, sur la manie des descriptions. Le livre où M. Delécluze a mis certainement le plus de son ame, c’est Mademoiselle de Liron. Il s’agit là d’un drame du cœur à deux personnages, qui se passe tout entier au fond d’un château. Eh bien ! même dans cette histoire d’amour où auraient pu se glisser quelques rayons du jour enchanteur des bosquets de Clarens, de leur molle et mystérieuse clarté, on sent circuler l’air pénétrant et subtil qu’on respire dans Adolphe et dans Obermann. C’est que M. Delécluze appartient à ce petit groupe d’écrivains dont M. de Sénancourt et Benjamin Constant sont les plus illustres, enfans du XVIIIe siècle, moins le sourire, ayant accepté comme un héritage de leurs pères un scepticisme dont l’inquiétude les oppresse toujours, et dont la grace est une tradition qu’ils ont perdue. Ces esprits m’inspirent une sorte de tristesse ; ils n’ont pas en eux assez de force et assez de calme pour s’éprendre du culte païen de la nature ; ils ont une trop grande habitude de l’examen et de l’analyse pour chercher un refuge dans les révélations de la foi. Sans attaquer le christianisme, ils ont conservé envers lui une sorte d’hostilité triste et sombre, une défiance qu’ils essaieraient vainement de vaincre, et les puissans systèmes du panthéisme, sa poésie féconde et grandiose, ont quelque chose de contraire à leur instinct qu’ils refusent d’accepter. Entre les rayons de la foi qu’ils repoussent et les splendeurs de la matière qui les effraie, ils vivent dans un milieu terne et glacé. De là cette absence de coloris, de chaleur et de passion heureuse dans leurs œuvres. Mais, si les écrivains que je veux désigner transportent la raideur du jansénisme au sein de la philosophie, ils y transportent aussi sa morale austère, ses principes sévères et consciencieux. À défaut de descriptions de la ville éternelle et de réflexions éloquentes sur les souvenirs ou les espérances qu’elle renferme, à défaut d’actions et de tableaux, d’enthousiasmes et de colères, l’ouvrage de M. Delécluze nous offre des sentimens d’une élévation placide et d’une sincère honnêteté. Quoiqu’on y retrouve ce ton un peu chagrin et cette mélancolie sceptique dont l’auteur de Mademoiselle de Liron ne peut pas se défaire, la conclusion de Dona Olimpia ne manque ni de vérité ni de grandeur ; elle arrête définitivement le lecteur sur de belles et de nobles pensées. Aussi dirons-nous que le livre de M. Delécluze indique un esprit cultivé et une conscience droite. En ce sens, Dona