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un sujet d’étonnement et de doute ; ce sera un livre écrit tout entier dans une langue dont on aura perdu le secret.

Au reste, si l’on veut formuler sur M. de Balzac un jugement qui atteigne à la fois le fond et la forme de son ouvrage, rien ne peut mieux rendre les instincts auxquels il obéit, le genre d’attraits qui le captive, et, il faut bien le dire aussi sans hypocrite détour, le genre d’intérêt qu’il excite quelquefois, qu’une comparaison dont il se sert lui-même et que nous copions mot pour mot : « Mon mari (c’est Rénée de Lestorade qui écrit) va me chercher à Marseille les plus belles oranges du monde, il en a demandé de Malte, de Portugal, de Corse ; mais ces oranges, je les laisse, je cours à Marseille, quelquefois à pied, y dévorer de méchantes oranges à un liard, quasi pourries, dans une petite rue qui descend au port ; leurs moisissures bleuâtres ou verdâtres brillent à mes yeux comme des diamans : j’y vois des fleurs, je n’ai nul souci de leur odeur cadavéreuse, et leur trouve une saveur irritante, une chaleur vineuse, un goût délicieux. »

Si l’on veut quitter pour un modeste et honnête repas les mets qui flattent la dépravation de l’appétit, il faut passer du dernier ouvrage de M. de Balzac, au dernier livre de M. Delécluze. Dona Olimpia est une étude consciencieuse dont le seul défaut est d’avoir affecté une forme romanesque pour n’offrir qu’un assez faible intérêt à l’imagination. M. Delécluze a fait de curieuses recherches sur la part qu’a prise dona Olimpia à la conduite des affaires sous le pontificat d’Innocent X. Au lieu de suivre une voie incertaine entre le roman et l’histoire, que ne choisissait-il hardiment une des deux routes qui lui étaient offertes, je crois qu’il aurait tiré meilleur parti de ses travaux. Il entretient dans l’esprit du lecteur, jusqu’aux dernières pages, toujours renaissante et toujours déçue, une vague espérance d’incidens dramatiques annoncés çà et là par de passagères velléités. Si M. Delécluze n’avait pas pris soin de nous apprendre autre part qu’il a été à Rome, ce n’est pas Dona Olimpia qui nous le dirait. Son livre est aussi discret sur le séjour qu’il a pu y faire, que le drame de Lorenzino, sur le séjour de M. Dumas à Florence. Mme de Staël, en écrivant son magnifique roman de Corinne, savait trouver le moyen, sans peine, sans effort, sans recourir aux expressions exagérées et aux images ambitieuses, de faire voir, à travers l’admirable limpidité de son style, le beau ciel de l’Italie. Une œuvre comme Dona Olimpia exigeait le luxe des descriptions à défaut de l’intérêt romanesque. Je voudrais, dans les palais romains où M. Delécluze nous introduit sans cesse, voir briller ces riches tentures, ces vases aux formes antiques, tous ces éblouissans détails que les maîtres de l’école italienne prodiguent dans leurs tableaux. Je voudrais savoir autre chose que le nom du palais Navone. Pourquoi l’écrivain n’aide-t-il pas mon imagination à se représenter les robes de pourpre des cardinaux traînant sur les escaliers de marbre ? Puisque M. Delécluze a cru qu’un certain appareil était nécessaire au récit tout historique qu’il avait entrepris, je suis en droit de lui demander du mouvement et des peintures. Si, pour me montrer les progrès d’une intrigue poli-