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REVUE LITTÉRAIRE.

de l’autel ; celle-là ne se roule jamais aux pieds de son enfant, quoique cet enfant soit en même temps son Dieu. À vouloir expliquer le divin regard plein de foi sincère et d’ardente espérance que la mère attache sur son fils, à le traduire par une série de phrases remplies d’une passion désordonnée, il y a la même profanation qu’à vouloir interpréter en désirs impurs, formuler d’une façon précise le regard plein de curiosité et d’admiration naïve que la jeune fille, devant une glace, attache sur sa beauté. Il n’est pas de mystère que M. de Balzac respecte, ceux-là même que la pudeur du corps et celle de l’ame s’unissent pour protéger. Rien de plus hideux que le récit d’accouchement qui est contenu dans un des passages de son livre. Là où la souffrance étend comme un triple voile, là où le corps de la femme, purifié par les divines tortures du martyre, devient quelque chose de plus chaste que celui de la jeune fille, là où l’on doit détourner les yeux avec tremblement, M. de Balzac n’abaisse pas un instant son regard. Il y a dans une lettre de Rénée une horrible analyse de toutes les impressions de la femme pendant que la douleur est dans ses entrailles et l’auréole sur son front. Cette analyse ne m’a même point paru exacte ; mais Dieu me préserve de la discuter !

Cependant l’action continue. Rénée, après les premières frénésies de sa passion maternelle, est ramenée par cette passion même à s’occuper de son mari. Pour que ses enfans aient un jour l’avenir qu’elle veut leur préparer dès le berceau, il faut que leur père suive une carrière brillante. Elle travaille avec une activité, que le succès couronne, à la fortune de M. de Lestorade. Elle en fait un député, elle sollicite pour lui des décorations et des titres ; enfin, sauf le vertige que lui donnent par instans ses accès d’enthousiasme lyrique, lorsqu’elle parle biberon ou maillot, elle marche dans la vie de ce pas prudent et sûr qui mène infailliblement à un but. Mais que devient Louise ? Son amie nous l’apprend (je m’empresse de copier le texte, il y aurait trop de péril à vouloir chercher des expressions pour la pensée qu’il contient) : « Avec l’ame d’Héloïse et les sens de sainte Thérèse, tu te livres à des égaremens sanctionnés par les lois ; en un mot, tu dépraves le mariage. »

Aussi la catastrophe qu’amènent tous les excès ne se fait pas long temps attendre pour la baronne de Macumer ; elle est bizarre, imprévue ; il faut relire plusieurs fois les incroyables lettres qui l’annoncent pour être sûr de ne pas s’être trompé. Felipe meurt. Pourquoi meurt-il ? C’est ce que j’ai cru comprendre seulement à l’endroit où Rénée dit à Louise, prête à contracter un nouveau mariage et à s’enfuir avec son second mari dans la retraite : « Comment ! Louise, après tous les malheurs intimes que t’a donnés une passion partagée, tu veux vivre avec un mari dans la solitude ? Après en avoir tué un en vivant dans le monde, tu veux te mettre à l’écart pour en dévorer un autre ? »

Je n’oserais pas déterminer au juste quel est le sens précis de cette phrase, là où le sens propre finit, où le sens figuré commence, mais enfin il me semble qu’elle établit clairement que ce pauvre Felipe a été dévoré. D’ailleurs,