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HORACE.

évènement contemporain. L’histoire du sage Ofella, par exemple, elle est dans toutes les bouches : Ofella, lui aussi, a été chassé de l’héritage paternel ; chacun s’intéresse à ce pauvre homme dépouillé de son domaine ; celui-ci s’y intéresse en sa qualité de spolié, celui-là en sa triste qualité de spoliateur ; c’est l’histoire des biens nationaux parmi nous. Donc le sage Ofella a cédé la place à un certain soldat débauché et imprévoyant, nommé Umbrenus. Ce soldat s’était très vite ruiné à force de prodigalités insensées, pendant qu’Ofella, devenu le fermier de son propre bien, avait fini par le racheter à force de frugalité et de travail. Cette satire est écrite, mais avec toutes les différences qui peuvent séparer l’églogue de la satire, dans le même sentiment qui a dicté le Tytire, tu patulæ ; seulement vous remarquerez que le Tytire qui reste mollement couché à l’ombre de son hêtre, pendant que Melibœe, son voisin dépouillé, s’en va çà et là cherchant en vain un peu d’eau pour désaltérer sa chèvre expirante, nous représente le plus élégant des égoïstes. Au contraire, cette satire d’Horace, à propos d’Ofella qui se défend lui-même, me remplit de tendresse et de pitié. Au reste, cette histoire de domaines volés par le vainqueur pour enrichir ses soldats, ces longues plaintes de tant de malheureux chassés du toit paternel, vous les entendrez retentir bien long-temps dans l’histoire de toutes les poésies. Dernièrement encore, quel admirable parti en a tiré M. de Lamartine dans son poème de Jocelyn !

À Dieu ne plaise que je veuille ainsi suivre pas à pas notre poète dans sa course satirique ! S’il faut dire toute ma pensée à ce sujet, il me semble qu’Horace n’est pas resté assez long-temps fidèle à ses justes satires. Il a été un instant l’effroi des oppresseurs, l’espérance des opprimés. Il aurait pu être, s’il l’eût voulu, le grand justicier de son époque ; mais la tâche lui a paru trop rude. Il avait trop peu de fiel dans l’esprit, trop peu de haine dans le cœur, pour suffire à ce métier-là bien long-temps. Attendez Juvénal, si vous voulez un satirique implacable. Le nôtre est à bout de méchancetés déjà, et nous aussi. D’ailleurs, quand nous essayons de vous raconter d’une façon chronologique ces charmantes conversations avec le beau monde romain, c’est là tout-à-fait un petit artifice de rhétorique dont vous ne serez pas la dupe. Il est bien entendu, en effet, que ce beau jeune homme de tant de verve, d’élégance et d’esprit, ne va pas vivre uniquement de fiel, de médisances, de méchancetés, de satire. Non, certes ! ce n’est pas celui-là dont la vie doit se passer dans mille colères sans relâche ; ce n’est pas celui-là qui va s’envelopper de sa