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durement la série malheureuse, aucun élan, aucun cri véritable de l’ame ne soulève la prose languissante dans laquelle il est écrit.

Si le jugement que nous portons avec le public sur la pièce de M. Alexandre Dumas est sévère, il ne nous empêche pas de reconnaître, on l’a vu déjà, ce qu’il y a toujours de facilité et parfois même encore de verve dans ce qui sort de sa plume. C’est un drame qui a l’air d’avoir été écrit dans des salles d’armes, sur des impériales de diligence, mais qui, s’il n’a rien de florentin, porte le cachet de quelques qualités françaises que l’auteur des Impressions de Voyage possède au plus haut degré. Dans les deux premiers actes, l’action est menée avec cette rondeur et cette hardiesse cavalière qui distinguent aussi M. Scribe. Quand Boileau, personnifiant la langue et la poésie dans le vieux coursier du Parnasse, supposait que Pégase pouvait être rétif, il ignorait qu’on aurait un jour contre lui la ressource de la cravache. C’est une ressource dont M. Dumas use largement ; aussi il va grand train malgré tous les obstacles. Ce qu’il y a d’insupportable pour l’imagination, c’est de penser que ce drame nous vient de Florence. Quoi ! M. Dumas a sur sa tête le ciel où Lorenzo puisait son ardent amour pour la patrie, il a sous ses yeux le vieux palais des Médicis, et il ne fait pas pénétrer dans le drame qu’il nous envoie une bouffée de l’air qu’il respire. Il y a là de quoi affliger ceux qui comptent sur l’inspiration des voyages, qui espèrent entendre les vers sortir des ruines des palais et du feuillage des orangers, mais aussi il y a de quoi consoler ceux qui rêvent Florence de leur grenier et qui portent le soleil d’Italie au fond de leur cœur.

Dernièrement je lisais, en tête d’Henri III, une préface écrite par M. Dumas dans l’enthousiasme de son triomphe. Effusions de reconnaissance envers les acteurs, remerciemens à la critique, gratitude pour l’accueil du public, voilà ce qu’on rencontrait à chaque ligne dans ces pages écrites sous l’heureuse impression d’un succès. Cet épanouissement de joie m’intéressait et me faisait rêver. J’aime à me transporter par la pensée dans la maison du poète à la fin d’une première représentation. J’entends les voitures qui, à minuit, troublent tout à coup le silence de sa demeure ; je vois les amis qui en descendent avec précipitation, gravissent ou plutôt escaladent son escalier, poussent avec fracas sa porte, et lui annoncent, les yeux brillans de bonheur, la nouvelle de sa victoire. Ce sont là de précieuses émotions, et la préface dont je parle nous annonce que l’ame de M. Dumas les a puissamment ressenties. Quand il prenait à ses pièces cet intérêt passionné, ses pièces étaient meilleures. Aujourd’hui il a sans doute une façon plus philosophique de voir les choses ; c’est à Florence qu’il attend la décision du public ; le bruit qu’il soulève ne lui parvient plus qu’affaibli. Il n’y a que deux sentimens qui puissent produire cet état de tranquillité et de paisible attente dans l’ame d’un écrivain : c’est un amour de l’art si profond, si désintéressé, si pur, que toutes les clameurs des hommes ne sauraient ni diminuer ni accroître les jouissances dont il s’enivre, ou c’est une façon si légère, si scep-