esprit. Il lui sembla qu’un conspirateur qui porte en chef un tourteau d’azur chargé de trois fleurs de lis d’or pouvait figurer dans un drame sans blesser ceux qui se montrent le plus sévères sur l’origine des personnages que doit accepter la scène. Nous pensons comme lui. Seulement, nous reconnaissons qu’il fallait un merveilleux talent pour qu’une action ne prit pas des allures de mélodrame en marchant dans un sombre dédale de rues où se croisent les embuscades meurtrières et les guet-apens amoureux. Quand on veut conquérir le droit de donner aux yeux de grands spectacles, d’amener sur le théâtre le cercueil de la jeune fille et le cadavre du bravo, de montrer la vie humaine sous toutes ses faces, dans ses misères qui font pleurer, dans ses vices qui font horreur, il faut, par de laborieux efforts, donner à sa pensée cette instruction profonde, à son style cet art infini que présentent les pièces de Shakspeare. On ne doit mettre les sens en jeu que pour frapper plus vivement l’esprit. Si l’homme qui enfonce le scalpel devant un amphithéâtre dans un corps où a résidé la vie, au lieu de voir dans chaque fibre saignante qu’il met au jour la trace d’une puissance invisible, les leçons d’une sagesse suprême, n’y voyait que du sang et des blessures, ce ne serait pas un savant, ce serait un boucher ou un bourreau.
L’art et l’enseignement, le Lorenzaccio de M. Alfred de Musset les réunit ; peut-on en dire autant du Lorenzino de M. Dumas ? L’auteur de Don Juan de Marana, dont les emprunts sont quelquefois si heureux, aurait bien dû prendre à M. Alfred de Musset la pensée qui éclaire et purifie son drame. À l’âge où le cœur garde encore intact le trésor des nobles colères et des saintes larmes, à l’âge où l’on prolonge la veillée pour converser avec Plutarque, et où l’on s’endort en rêvant d’Épaminondas, Laurent de Médicis s’est épris tout à coup d’une admiration passionnée pour le rôle de Brutus. C’est à égaler la gloire de son héros qu’il veut consacrer toutes les forces d’une jeunesse à la fois ardente et austère jusqu’alors. Il fait un vœu semblable à ceux que la passion chevaleresque inspirait quelquefois au moyen-âge. Certains chevaliers juraient de cacher leurs traits : il prend avec lui-même l’engagement de cacher son ame, et de la cacher sous le plus hideux des vêtemens. Il présente aux baisers des courtisanes, aux souffles embrasés de l’orgie, son front où les rayons de la lampe répandaient une clarté sereine, où les lèvres de sa mère se posaient avec fierté et bonheur. D’abord, dans la lutte insensée qu’un aveugle héroïsme le pousse à entreprendre contre les instincts généreux de sa nature, le feu qui est au fond de son ame résiste et ne s’éteint pas. Comme il le dit lui-même dans un mouvement plein d’une tristesse poignante et d’un charme ineffable de vérité, il a pleuré sur la vertu de la première fille qu’il a séduite. Les ardeurs des folles nuits n’ont pas encore séché au fond de ses yeux les pleurs qui soulagent, il y a encore place en lui pour les joies divines de l’enthousiasme et les magnifiques explosions de la sensibilité. Puis tout à coup il s’aperçoit que ces jouissances salutaires, dont il espérait conserver le secret,