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La seconde satire[1] est déjà moins acerbe que la première. L’auteur se sent plus fort, plus inspiré, mieux écouté, il sera donc moins cruel. Cette fois sa bonne humeur est plus à l’aise, sa douce ironie se déploie plus librement. Il s’est levé ce matin même en pensant à tous les excès de la vertu comme l’entend Zénon, l’austère philosophe ; aussitôt, à force de songer aux hypocrisies de la vertu, il se met à prendre en main la défense de nos petits vices, de nos défauts supportables, de nos crimes innocens de chaque jour. Il veut que nous soyons, avant tout, bienveillans les uns pour les autres. C’est tout-à-fait l’histoire de la paille que l’on voit dans l’œil du voisin sans penser à la poutre que l’on porte dans le sien. Ce n’est pas qu’au beau milieu de cette mansuétude le satirique ne se montre plus d’une fois. Par exemple, comme il vous traite ce pauvre Menius, comme il s’amuse de le voir ruiné et bafoué en tous sens ! Et Cysipus, le nain en titre de Marc-Antoine, comme il l’accable de ses mépris ! et quand enfin il arrive au chanteur Hermogènes, comme il vous flagelle cet Hermogènes, homme tout-puissant à la cour ! Tigellius mort n’est pas couvert de plus de mépris qu’Hermogènes vivant. À cet Hermogènes qui hurlait contre Horace, Horace accole Crispinus, qui faisait de mauvais vers. Vous trouvez même dans cette satire le nom du jurisconsulte Labeo, qui fut à bon droit un homme honoré de tous ; mais à cette heure Labeo n’a guère que dix-huit ans, et il doit se féliciter d’être déjà assez bien posé dans le monde pour appartenir à la satire. — Bien plus, Virgile lui-même, l’ami d’Horace, et déjà sa grande admiration, Virgile nous apparaît dans un petit coin satirique. « Cet homme est toujours prêt à se mettre en colère, il ne veut pas être raillé, même par les plus grands seigneurs. Quelle chevelure négligée ! quelle toge en désordre ! Sa chaussure est à peine arrêtée par de malheureux cordons mal attachés. Et cependant c’est mon ami, je l’aime, il est plein de cœur, il est plein de génie ! » Ce passage-là nous rappelle tout-à-fait le chapitre de La Bruyère où il est question du grand Corneille à pied, éclaboussé par le comédien en voiture.

La troisième, satire[2] est encore plus humaine que la seconde. Le poète entreprend pour la première fois l’éloge de cette médiocrité dorée qui lui fait si grande envie, et à laquelle il est resté fidèle jusqu’à la fin. Cette fois encore il rattache le sujet de sa satire à un

  1. Sat. II, lib. II.
  2. Sat. III, lib. II.