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elle fut toujours, au milieu de mes innombrables passions, mon affection la plus vive et la plus entière.

« La première année où nous avons eu quelque liaison, j’ai perdu la plus nécessaire de toutes mes correspondances. Je ne pensais rien qui, à quelque égard, ne fût dirigé de ce côté, et je ne pourrai plus rien penser qui ne me fasse apercevoir et sentir ce grand vide. Mme de Beaumont avait éminemment une qualité qui, sans donner aucun talent, sans imprimer à l’esprit aucune forme particulière, met une ame au niveau des talens les plus éclatans : une admirable intelligence. Elle entendait tout, et son esprit se nourrissait de pensées, comme son cœur de sentimens, sans chercher dans les premières les satisfactions de la vanité, ni un autre plaisir qu’eux-mêmes dans les seconds. Mais vous ne l’avez tous connue que malade, et vous ne pouvez pas savoir cela comme moi. Nous nous étions liés dans un temps où nous étions tous les deux bien près d’être parfaits, de sorte qu’il se mêlait à notre amitié quelque chose de ce qui rend si délicieux tout ce qui rappelle l’enfance, je veux dire le souvenir de l’innocence. Vous rencontrerez dans le monde beaucoup de femmes d’esprit, mais peu qui, comme elle, aient du mérite pour en jouir et non pour l’étaler. Ses amis disaient qu’elle avait une mauvaise tête, cela peut être, mais aussi elle en avait une excellente et que nous ne trouverons pas à remplacer, vous et moi. Elle était pour les choses intellectuelles ce que Mme de Vintimille est pour les choses morales. L’une est excellente à consulter sur les actions, l’autre l’était à consulter sur les idées. N’en ayant point de propres et de très fixes, elle entrait dans toutes celles qu’on pouvait lui présenter Elle en jugeait bien, et l’on pouvait compter que tout ce qui l’avait charmée était exquis, sinon pour le public, au moins pour les parfaits. Je suis trop avancé dans la vie, trop mûri par la maladie pour pouvoir espérer ni prétendre aucun dédommagement. Toutefois je dois vous dire que, sans de tels empêchemens, la providence, en vous plaçant pour ainsi dire devant mes pas quand j’éprouvais de telles pertes, m’aurait paru vouloir les adoucir et m’en consoler autant que possible. Je lui rends grace ; mais laissez-moi me borner à profiter de ce bienfait, quand l’occasion s’en présentera, sans aspirer à vous lier par aucune espèce de chaînes.

« Adieu, adieu. Je n’en puis plus. »