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JUGEMENS LITTÉRAIRES, PENSÉES ET CORRESPONDANCE.

ne produit même pas toujours tout le mal qui, par une inévitable conséquence, semble devoir en découler ; car il arrive souvent qu’on a le sentiment d’une vérité dont on n’a pas l’opinion, et qu’en pareil cas on assortit sa conduite avec ce qu’on sent plutôt qu’avec ce qu’on pense. Cela paraît aussi subtil que ce que j’ai dit plus haut ; mais je l’avance plus hardiment, et vous allez savoir pourquoi.

« Cette pensée est bien de moi, et je la tiens de mon expérience ; mais elle n’est pas de moi seul. Je crois aussi que les expressions sont miennes ; mais elles ne sont pas de moi seul non plus. Je me souviens qu’un autre a dit à peu près la même chose. Or, savez-vous quel est cet autre ? C’est un homme dont le grand sens égalait pour le moins l’esprit, c’est Bossuet, dans ses disputes sur le quiétisme, et à propos de Fénelon dont il voulait expliquer les vertus qui lui semblaient en contradiction avec les monstruosités de sa doctrine. Vous trouverez sans doute que je cite là une grande autorité, et je la trouve encore plus grande que vous, car, à mon gré, Bossuet, c’est Pascal, mais Pascal orateur, Pascal évêque, Pascal docteur, Pascal homme et homme d’état, homme de cour, homme du monde, homme d’église, Pascal savant dans toutes sortes de sciences et ayant toutes les vertus aussi bien que tous les talens. Je m’arrête, je crains de vous scandaliser.

« Je coupe court, fort peu content de tout ceci, mais soulagé du moins d’avoir fait ce premier acte d’explication, et jeté ce morceau de levain dans votre pâte. Sachez-moi gré de ce que je vous fais part avec tant d’abandon et si peu d’amour-propre de la portion de mes opinions qui se présente la première, vous les livrant tantôt avec leur lie, tantôt avec leur excès et leur extravagance. Je suis entré un moment dans ces idées pour vous en ouvrir la fenêtre, assuré que le coup d’œil que je vous fais jeter là se représentera plus d’une fois à votre esprit, et que, peut-être dans un moment heureux, vous y démêlerez ce que j’aperçois depuis long-temps, mais ce que je n’ai pu parfaitement saisir.

« Bientôt, en nous revoyant, nous traiterons à loisir ces grands sujets. Je répondrai alors à vos lettres, dont je ne vous ai pas dit un seul mot. J’aurais dû cependant déjà faire des remerciemens à votre jeune amitié. Il est probable que je n’en profiterai jamais ; mais elle ne peut être pour moi que très précieuse.

« La première fois que je vous ai vu, je perdais ma mère, la meilleure, la plus tendre, la plus parfaite des mères ! Ma tendresse pour