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JUGEMENS LITTÉRAIRES, PENSÉES ET CORRESPONDANCE.

des enfans ; Werther en parle ; c’est celui-là que nous disons toujours, après avoir lu vos lettres, et jamais l’autre : il n’est pas fait pour vous.

À M. MOLÉ.
Villeneuve-le-Roi, le 30 mars 1804.

« Tout ce que vous m’avez dit de neuf sur l’erreur est bien dit, et non-seulement très bien dit, mais très vrai, mais historique.

« J’ai cependant quelques objections à vous faire.

« Dire aux hommes que toute erreur est funeste, n’est-ce pas les porter, par leur propre intérêt et par leurs intérêts les plus grands, à tout examiner, et par conséquent à tout rendre problématique, au moins quelques momens ? Situation la plus funeste où puisse être placé le genre humain. Il n’est pas exact d’ailleurs que toute erreur soit funeste. Que dis-je ? Il en est un grand nombre qui n’éloignent pas de la vérité, car elles en occupent. Telles sont presque partout les fables qui s’attachent aux religions. En parlant de Dieu, elles en entretiennent la croyance et en inculquent les lois.

Le conte fait passer la morale avec lui.

« Beaucoup d’erreurs sont moins des opinions que des vertus ; moins des égaremens de l’esprit que de beaux sentimens du cœur. Telles sont celles qui ne s’adoptent que par respect, par piété, par soumission pour les parens, pour les anciens.

« Il faut distinguer soigneusement les erreurs nouvelles des anciennes, les erreurs dogmatiques des erreurs de docilité, les systèmes inouis et en opposition à toutes les idées antérieures, des systèmes partiels et qui portent plus sur les formes que sur le fond.

« Il est de l’ordre que toutes les idées nécessaires à l’ordre et à la portion de bonheur que ce monde peut nous donner, soient des idées de tous les temps, et se soient trouvées partout où des peuples se sont trouvés. Par cela même, tout ce qui tend à détruire les idées précédentes est funeste, et produit sur les individus et les nations les effets déplorables dont vous avez fait le tableau.

« Toute erreur qui est ancienne a perdu son venin, ou, peut-être, pour parler plus exactement, toute erreur qui a subi l’épreuve du temps et y a résisté est une erreur qui est innocente, par nature, et peut s’amalgamer avec tout ce qui est bien. C’est ce qui l’a rendue vivace.