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HORACE.

rence du génie au plat quolibet, le succès d’un pamphlet moderne. En ce temps-là encore il y avait en circulation si peu de beaux vers ! la poésie était une émotion si nouvelle ! Ces mémoires, que rien ne fatiguait, étaient si bien disposées pour tout retenir ! D’ailleurs, dans cette société qui se recomposait, toutes les ambitions se tenaient éveillées, toutes les jalousies étaient en présence. On ne savait pas bien encore qui serait le maître définitif ; les inquiétudes étaient grandes dans tous les esprits : si bien que celui-là qui frappait à tort et à travers, à droite et à gauche, devait être le très bienvenu de tous. Mécène lui-même, sous le nom de Melchinus, Mécène, le dulce decus, a sa bonne part dans les emportemens innocens du poète. Et quelle joie ce dut être pour les opprimés, pour les mécontens, pour les suspects dont Rome était remplie, quand ils apprirent cette flagellation inespérée ! Ainsi tout d’un coup le jeune poète, par sa bonne grace, par son esprit, par son charmant style, sut conquérir les deux élémens sans lesquels il n’y a pas de popularité durable, — beaucoup d’ennemis furieux et quelques amis dévoués. — Dans le nombre de ces derniers, il faut placer Asinius Pollion, homme éminent de la république. Pollion s’était fait remarquer à la guerre, à la tribune, au barreau, au théâtre, au conseil. Il avait commencé par aimer la liberté autant que Brutus, et il s’était bien promis de sortir de la vie comme avait fait Caton d’Utique ; mais dans la mort même de Caton il restait un peu d’espoir. Quelque chose disait à Caton que peut-être son suicide porterait ses fruits de liberté et d’affranchissement ; ce dernier espoir manqua à Pollion. Quand donc il vit que Caton par sa mort stoïque, Brutus par son meurtre et par son suicide, avaient à peine agité d’un regret fugitif les ames les mieux trempées, Pollion n’eut pas l’orgueil de penser que sa mort à lui serait suivie même d’un remords public. Il se résolut donc à vivre jusqu’à la fin. Mais, tout en renonçant aux vieilles lois, il ne voulut adopter aucun maître nouveau. Entre Octave et Marc-Antoine il n’eut pas un moment d’hésitation, car, à tout prendre, il ne voulait ni de celui-ci ni de celui-là. Ainsi il rentra dans la vie privée. Il renonça à l’épée du capitaine, aux faisceaux du consul, aux cliens de la place publique ; il se fit homme de lettres et grand seigneur. Il fut le premier protecteur d’Horace, le sauveur de Virgile, l’ami de Roscius le poète tragique. Voici tantôt dix-huit cents ans que l’on répète : — Honneur à Mécène ! Mécène a sauvé les poètes de son temps ; il a été leur ami, leur soutien, leur providence ! — Et dans ces louanges unanimes on oublie celui qui le premier a tendu aux beaux esprits de son temps une main secourable et bienveillante, Asinius Pollion.