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JUGEMENS LITTÉRAIRES, PENSÉES ET CORRESPONDANCE.

Il est subtil, il est léger, mais d’une subtilité de nature et non de pratique.

Cet esprit demi-voilé et entrevu, qualem aliquis vidit, aut vidisse putat, per nubila lunam, plaît à la fois par le mystère et la clarté.

Ce qui impatiente, c’est qu’on l’a loué jusqu’ici sans précision, et avec une exagération peu conforme aux habitudes de ses goûts, à sa manière et aux règles de sa poétique et de sa critique.

Ordinairement ce qu’il dit échappe à la mémoire, mais n’échappe pas au souvenir ; je veux dire qu’on ne se rappelle pas ses phrases, mais qu’on se souvient du plaisir qu’elles ont fait. Cette perfection de style qui consiste à incorporer de telle sorte la parole avec la pensée, qu’il soit impossible de se rappeler l’une sans l’autre, n’est pas la sienne ; mais il en a une autre : sa construction molle indique l’état de son ame, la douceur de son affection. Si l’on y voit moins bien ses pensées, on y voit mieux ses sentimens.

Fénelon avait cet heureux genre d’esprit, de talent et de caractère, qui donne infailliblement de soi à tout le monde l’idée de quelque chose de meilleur que ce qu’on est.

C’est ainsi qu’on attribue à Racine ce qui n’appartient qu’à Virgile, et qu’on s’attend toujours à trouver dans Raphaël des beautés qui se rencontrent plus souvent, peut-être, dans les œuvres de deux ou trois peintres, que dans les siennes.

Fénelon eut le fiel de la colombe, dont ses reproches les plus aigres imitaient les gémissemens ; et parce que Bossuet parlait plus haut, on le croyait plus emporté.

L’un avait plus d’amis et, pour ainsi parler, plus d’adorateurs que l’autre, parce qu’il avait plus d’artifices. Il n’y a point d’ensorcellement sans cet art et sans habileté.

L’esprit de Fénelon avait quelque chose de plus doux que la douceur même, de plus patient que la patience. Un ton de voix toujours égal, et une douce contenance toujours grave et polie, ont l’air de la simplicité, mais n’en sont pas. Les plis, les replis et l’adresse qu’il mit dans ses discussions, pénétrèrent dans sa conduite. Cette multiplicité d’explications ; cette rapidité, soit à se défendre tout haut, soit à attaquer sourdement ; ces ruses innocentes ; cette vigilante attention pour répondre, pour prévenir et pour saisir les occasions, me rappellent, malgré moi, la simplicité du serpent, tel qu’il était dans le premier âge du monde, lorsqu’il avait de la candeur, du bonheur et de l’innocence : simplicité insinuante, non insidieuse cependant, sans perfidie, mais non sans tortuosité.