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REVUE DES DEUX MONDES.

Dans le style de Bossuet, la franchise et la bonhomie gauloises se font sentir avec grandeur. Il est pompeux et sublime, populaire et presque naïf.

Bossuet emploie tous nos idiomes, comme Homère employait tous les dialectes. Le langage des rois, des politiques et des guerriers ; celui du peuple et du savant, du village et de l’école, du sanctuaire et du barreau ; le vieux et le nouveau, le trivial et le pompeux, le sourd et le sonore : tout lui sert ; et de tout cela il fait un style simple, grave, majestueux. Ses idées sont, comme ses mots, variées, communes et sublimes.

Tous les temps et toutes les doctrines lui étaient sans cesse présens, comme toutes les choses et tous les mots. C’était moins un homme qu’une nature humaine, avec la tempérance d’un saint, la justice d’un évêque, la prudence d’un docteur et la force d’un grand esprit.

Fénelon habite les vallons et la mi-côte ; Bossuet, les hauteurs et les derniers sommets. L’un a la voix de la sagesse, et l’autre en a l’autorité ; l’un en inspire le goût, mais l’autre la fait aimer avec ardeur, avec force, et en impose la nécessité.

Fénelon sait prier, mais il ne sait pas instruire.

C’est un philosophe presque divin, et un théologien presque ignorant.

M. de Beausset dit de Fénelon : « Il aimait plus les hommes qu’il ne les connaissait. »

Ce mot est charmant ; il est impossible de louer avec plus d’esprit ce qu’on blâme, ou de mieux louer en blâmant.

Fénelon laisse plus souvent tomber sa pensée qu’il ne la termine. Rien en lui n’est assez moulé.

Le style du Télémaque ressemble à celui d’Homère, mais de l’Homère de Mme Dacier.

Les pensées de Fénelon sont traînantes, mais aussi elles sont coulantes.

Fénelon nage, vole, opère dans un fluide, mais il est mou ; il a plutôt des plumes que des ailes. Son mérite est d’habiter un élément pur.

Dans ses préceptes, il ne parle que de véhémence, et il n’en a point. Oh ! qu’il eût bien mieux dit s’il eût parlé d’élévation et de délicatesse, qualités par lesquelles il excelle !

Je lui attribue de l’élévation, non qu’il se porte et qu’il se tienne jamais très haut, mais parce qu’il ne touche presque jamais la terre.