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JUGEMENS LITTÉRAIRES, PENSÉES ET CORRESPONDANCE.

et peut garder cet équilibre que nous appelons la raison, ou que notre raison est formée ;

Quand nos rectitudes morales ont insensiblement acquis cette indestructibilité qu’on nomme le caractère, ou que le caractère en son germe a reçu tous ses accroissemens ;

Enfin, quand, le secret principe d’aucune dépravation ne pouvant plus s’introduire en nous que par notre volonté, et nous blesser qu’à notre su, notre défense est en nous-mêmes :

Alors l’homme est achevé, le voile tombe, et le réseau se désourdit.

Même alors, cependant, la pudeur imprime en nous ses vestiges et nous laisse son égide. Nous en perdons le mécanisme, mais nous en gardons la vertu. Il nous reste une dernière ombre du réseau : je veux dire cette rougeur qui nous parcourt et nous revêt, comme pour effacer la tache que veut nous imprimer l’affront, ou pour s’opposer au plaisir excessif et inattendu que peut nous causer la louange.

Elle nous lègue encore de plus précieux fruits :

Un goût pur dont rien n’émoussa les premières délicatesses ; une imagination claire dont rien n’altéra le poli ;

Un esprit agile et bien fait, prompt à s’élever au sublime ; une flexibilité longue que n’a desséchée aucun pli ;

L’amour des plaisirs innocens, les seuls qu’on ait long-temps connus ; la facilité d’être heureux, par l’habitude où l’on vécut de trouver son bonheur en soi ;

Je ne sais quoi de comparable à ce velouté des fleurs qui furent long-temps contenues entre des freins inextricables, où nul souffle ne put entrer ; un charme qu’on porte en son ame et qu’elle applique à toutes choses, en sorte qu’elle aime sans cesse, qu’elle a la faculté d’aimer toujours ;

Une éternelle honnêteté ; car, il faut ici l’avouer, comme il faut l’oublier peut-être, aucun plaisir ne souille l’ame, quand il a passé par des sens où s’est déposée à loisir et lentement incorporée cette incorruptibilité ;

Enfin, une telle habitude du contentement de soi-même, qu’on ne saurait plus s’en passer, et qu’il faut vivre irréprochable pour pouvoir vivre satisfait.

JUGEMENS LITTERAIRES.

Platon est le premier des théologiens spéculatifs. La révélation naturelle n’eut point d’organe plus brillant.