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chocs et en opposant sa barrière à nos propres excursions, lorsque trop d’agitation pourrait nous nuire ou nous détruire.

Elle établit, entre nos sens et toutes leurs relations, une telle médiation et de tels intermédiaires, que, par elle, il ne peut entrer dans l’enceinte où l’ame réside que des images ménagées, des émotions mesurées et des sentimens approuvés.


Est-il besoin maintenant de parler de sa nécessité ?

Ce qu’est aux petits des oiseaux le blanc de l’œuf et cette toile où leur essence est contenue, ce qu’est au pépin sa capsule, ce qu’est à la fleur son calice, et ce que le ciel est au monde, la pudeur l’est à nos vertus.

Sans cet abri préservateur, elles ne pourraient pas éclore ; l’asile en serait violé, le germe mis à nu et la couvée perdue.


Appliquons cette idée aux faits, et le système aux phénomènes.

Nous avons tous de la pudeur, mais non une pudeur pareille. Cette toile immatérielle a des contextures diverses. Elle nous est donnée à tous, mais ne nous est pas départie avec une égale largesse, ni avec la même faveur.

Quelques-uns ont une pudeur peu subtilement ourdie ; d’autres n’en ont qu’un lambeau.

Ceux qui portent en eux les germes de toutes les perfections ont seuls une pudeur parfaite, seuls une pudeur entière, et dont les innombrables fils se rattachent à tous les points où aboutit leur existence. C’est celle-là que je décris.


Nous ne la gardons pas toujours. Elle est semblable à la beauté : d’affreux accidens nous l’enlèvent, et d’elle-même, sans efforts, elle diminue et s’efface lorsqu’elle serait inutile et que le but en est atteint.

La pudeur, en effet, subsiste aussi long-temps qu’il est en nous quelque particule inconnue, qui n’a pas pris sa substance et toute sa solidité, et jusqu’à ce que nos organes aient été rendus susceptibles d’adopter et de retenir des impressions éternelles.

Mais quand les molles semences de nos solides qualités ont pris tout leur développement ;

Quand nos bienveillances premières, comme un lait qui se coagule, ont produit en nous la bonté, ou que notre bonté naturelle est devenue inaltérable ;

Quand, nourri de notions chastes, notre esprit s’est développé,