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JUGEMENS LITTÉRAIRES, PENSÉES ET CORRESPONDANCE.

Elle nous fait vivre à l’ombre d’un ornement mystérieux, tant que nous sommes trop sensibles et ne sommes pas achevés, afin que les développemens qu’elle prépare à cette époque puissent se faire en sûreté dans nos capacités modestes, et n’y soient pas interrompus par les impressions trop nues des passions dures et fortes qui s’exhalent des autres êtres et qui émanent de tous les corps.

Comme les molécules qui causent nos sensations, si elles entraient sans retardement dans cet asile ouvert à toutes les invasions, détruiraient ce qu’il contient de plus tendre, en livrant notre ame à l’action de la matière, la nature leur oppose un rempart.

Elle environne d’un réseau inadhérent et circulaire, transparent et inaperçu, cette alcôve aimante et vivante, où, plongé dans un demi-sommeil, le caractère en son germe reçoit tous ses accroissemens.

Elle n’y laisse pénétrer qu’un demi-jour, qu’un demi-bruit, et que l’essence pure de toutes les affections.

Elle oppose une retenue à toutes nos sensations, et nous arme d’un mécanisme suprême qui, aux tégumens palpables destinés à protéger contre la douleur notre existence extérieure, en surajoute un invisible propre à défendre du plaisir nos sensibilités naissantes.

À cette époque de la vie enfin la nature nous donne une enveloppe : cette enveloppe est la pudeur.

On peut, en effet, se la peindre en imaginant un contour où notre existence en sa fleur est de toutes parts isolée, et reçoit les influences terrestres à travers des empêchemens qui les dépouillent de leur lie ou en absorbent les excès.

Elle arrête à notre surface les inutiles sédimens des impressions qui arrivent du dehors, et, n’admettant entre ses nœuds que leur partie élémentaire, dégagée de toute superfluité, elle fait sans effort contracter à l’ame la sagesse, et à la volonté l’habitude de n’obéir qu’à des mobiles spirituels comme elle.

Elle assure à nos facultés le temps et la facilité de se déployer, hors d’atteinte et sans irrégularité, en un centre circonscrit, où la pureté les nourrit et la candeur les environne, comme un fluide transparent.

Elle tient nos cœurs en repos et nos sens hors de tumulte, dans ses invisibles liens, incapable de nous contraindre dans notre développement, mais capable de nous défendre en amortissant tous les