Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/96

Cette page a été validée par deux contributeurs.
92
REVUE DES DEUX MONDES.

il y va de l’exil et de la mort, mais il s’attaque à ses amis les plus chers. Cette première satire commence d’une façon dramatique ; c’est une nouvelle apprise le matin même, la ville entière s’en occupe en riant, ce vil Tigellius est mort la nuit passée. — Qui ? Tigellius ? le musicien d’Octave, le favori du triumvir ? — Oui, certes, Tigellius lui-même, la joie des festins, l’honneur de ces nuits remplies de débauche, le grand conseil de la jeunesse romaine. Ce Tigellius était insolent, capricieux et mal élevé comme presque tous les grands chanteurs. Il était le ténor de son temps, — un ténor ! — Il avait toutes les fantaisies de ces sortes d’artistes si chèrement payés et dont le métier est si facile, aujourd’hui vivant de peu, vivant de rien, le lendemain étonnant la ville entière par son faste sans pudeur. Tantôt il passait sa vie avec les plus grands seigneurs de la ville, puis bientôt, par une révolution subite, il rappelait à lui les bateleurs, les danseurs, les faiseurs d’horoscopes, les parfumeurs, les mendians, les parasites, les marchands d’esclaves, toute la race famélique des saltimbanques ; le voilà donc tel que la mort nous l’a fait, ce digne homme dont Cicéron lui-même ne parlait qu’avec une certaine réserve ! Plus courageux que Cicéron, Horace s’attaque à Tigellius, et non-seulement il s’attaque à celui-là, mais encore, chemin faisant, il se met à mordre l’avare Fufidius, le vicieux Malthinus, l’infect Gorgonius, le malencontreux Cupiennus. — Il s’en prend à Salluste pour ses adultères, à Murseus pour ses prodigalités insensées avec les comédiennes, à Villius, l’amant de Fausta, battu de verges par le mari de sa maîtresse, pendant que Longanius tenait sa place. Et que dites-vous de la maîtresse de Cérinthus ? Elle a les plus belles perles à son cou, mais son cou est décharné et sans grace ; et que direz-vous de Catia ? je dis que c’est une grande dame qui ne sait plus rougir. « Mais ne me parlez pas de ces tristes amours, de ces difficiles pécores qu’on ne peut voir qu’à travers un voile, de ces femmes si bien gardées ; parlez-moi des gaies commères, il n’y a que celles-là qui soient bonnes et belles, demandez plutôt à Fabius ? »

C’est ainsi que l’ardent et jeune satirique tombait à outrance sur toute la société romaine. Il s’attaquait, pour commencer, aux hommes les plus distingués de la ville : Galba, le beau Cerinthe, l’historien Salluste, tous les petits accidens, toutes les aventures scandaleuses, toutes les médisances et quelques-unes des calomnies de la conversation courante, tel est le sujet de cette satire. Vous pouvez penser si ces vers nets, tranchans, incisifs, faciles à retenir, eurent tout d’abord une popularité sans exemple. C’était tout-à-fait, mais avec la diffé-