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JUGEMENS LITTÉRAIRES, PENSÉES ET CORRESPONDANCE.

en leurs mains, qu’après avoir cherché long-temps la veine qui le recélait, et l’en avoir fait soudainement jaillir ;

Esprits qui ont aussi leurs systèmes, et qui prétendent, par exemple, que voir en beau et embellir, c’est voir et montrer chaque chose telle qu’elle est réellement dans les recoins de son essence, et non pas telle qu’elle existe aux regards des inattentifs, qui ne considèrent que les surfaces ;

Esprits qui se contentent peu, à cause d’une perspicacité qui leur fait voir trop clairement et les modèles qu’il faut suivre, et ceux que l’on doit éviter ;

Esprits actifs, quoique songeurs, qui ne peuvent se reposer que sur des vérités solides, ni être heureux que par le beau, ou du moins par ces agrémens divers, qui en sont des parcelles menues et de légères étincelles ;

Esprits bien moins amoureux de gloire que de perfection, qui paraissent oisifs et qui sont les plus occupés, mais qui, parce que leur art est long et que la vie est toujours courte, si quelque hasard fortuné ne met à leur disposition un sujet où se trouve, en surabondance, l’élément dont ils ont besoin, et l’espace qu’il faut à leurs idées, vivent peu connus sur la terre, et y meurent sans monument, n’ayant obtenu en partage, parmi les esprits excellens, qu’une fécondité interne et qui n’eut que peu de confidens.

QU’EST-CE QUE LA PUDEUR ?

J’ai à peindre un objet charmant, mais qui se refuse sans cesse à la couleur de tous les styles, et souffre peu d’être nommé. Je l’envisage ici de haut, et on le saisit avec peine, même quand on le considère dans soi-même ou auprès de soi.

Mon entreprise est donc pénible ; elle est impossible peut-être. Je demande au moins qu’on me suive avec persévérance dans le dédale et les détours où mon chemin m’a engagé. Je désire qu’on m’abandonne à la pente qui me conduit. Enfin, je réclame pour moi ce que j’ai moi-même donné à mon sujet et à mon style, une espérance patiente et une longue attention.

La pudeur est on ne sait quelle peur attachée à notre sensibilité, qui fait que l’ame, comme la fleur qui est son image, se replie et se recèle en elle-même, tant qu’elle est délicate et tendre, à la moindre apparence de ce qui pourrait la blesser par des impressions trop vives, ou des clartés prématurées.