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je préfère ceux qui aiment à se livrer aux évolutions des oiseaux, à s’élever, à planer, à s’égarer, à fendre l’air pour revenir à un point fixe, solide et précis !

Il y a des choses que l’homme ne peut connaître que vaguement ; les grands esprits se contentent d’en avoir des notions vagues ; mais cela ne suffit point aux esprits vulgaires. Accablés d’ignorances par la nature et la nécessité, dans leur dépit ridicule et puéril, ils ne veulent en supporter aucune. Il faut, pour leur repos, qu’ils se forgent ou qu’on leur offre des idées fixes et déterminées sur les objets même où toute précision est erreur. Ces esprits communs n’ont point d’ailes ; ils ne peuvent se soutenir dans rien de ce qui n’est que de l’espace ; il leur faut des points d’appui, des fables, des mensonges, des idoles. Mentez-leur donc, et ne les trompez pas.

Il y a des esprits machines qui digèrent ce qu’ils apprennent, comme le canard de Vaucanson digérait les alimens : digestion mécanique et qui ne nourrit pas.

L’élévation d’esprit se plaît aux généralités ; sa gravité penche vers les applications.

Il y a des opinions qui viennent du cœur ; et quiconque n’a aucune opinion fixe n’a pas de sentimens constans.

Il est des esprits méditatifs et difficiles qui sont distraits dans leurs travaux par des perspectives immenses et les lointains du τὸ καλόν, ou du beau céleste, dont ils voudraient mettre partout quelque image ou quelque rayon, parce qu’ils l’ont toujours devant la vue, même alors qu’ils n’ont rien devant les yeux ;

Esprits amis de la lumière qui, lorsqu’il leur vient une idée à mettre en œuvre, la considèrent longuement et attendent qu’elle reluise, comme le prescrivait Buffon quand il définissait le génie l’aptitude à la patience ;

Esprits qui ont éprouvé que la plus aride matière, et les mots même les plus ternes, renferment en leur sein le principe et l’amorce de quelque éclat, comme ces noisettes des fées, où l’on trouvait des diamans, quand on en brisait l’enveloppe, et qu’on avait des mains heureuses ;

Esprits qui sont persuadés que ce beau dont ils sont épris, le beau élémentaire et pur, est répandu dans tous les points que peut atteindre la pensée, comme le feu dans tous les corps ;

Esprits attentifs et perçans qui voient ce feu dans les cailloux de toute la littérature, et ne peuvent se détacher de ceux qui tombent