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qui en ont les définitions ; qui regardent dans leur cerveau, au lieu de regarder devant leurs yeux ; qui consultent, dans leurs délibérations, les idées qu’ils ont des choses, et non les choses elles-mêmes.

Il est des hommes qui, lorsqu’ils tiennent quelque discours, ou forment quelque jugement, regardent dans leur tête, au lieu de regarder dans Dieu, dans leur ame, dans leur conscience, dans le fond des choses. On reconnaît cette habitude de leur esprit à la contenance qu’ils prennent, et à la direction de leurs yeux.

Les esprits simples et sincères ne se trompent jamais qu’à demi.

La fausseté d’esprit vient d’une fausseté de cœur ; elle provient de ce qu’on a secrètement pour but son opinion propre, et non l’opinion vraie.

L’esprit faux est faux en tout, comme un œil louche regarde toujours de travers.

Mais on peut se tromper une fois, cent fois, sans avoir l’esprit faux. On n’a point l’esprit faux quand on l’a sincère.

Il est des personnes qui ont beaucoup de raison dans l’esprit, mais qui n’en ont pas dans la vie ; d’autres, au contraire, en ont beaucoup dans la vie et n’en ont pas dans l’esprit.

Les gens d’esprit traitent souvent les affaires comme les ignorans traitent les livres : ils n’y entendent rien.

Si les hommes à imagination sont quelquefois dupes des apparences, les esprits froids le sont aussi souvent de leurs combinaisons.

Donnez aux esprits froids, aux esprits lourds, des doctrines subtiles et délicates, et vous verrez l’étrange abus qu’ils en feront. Jetez quelques vives lumières dans un esprit naturellement ténébreux, et vous verrez à quel point il les obscurcira. Ses ténèbres n’en deviendront que plus palpables, et le chaos succédera à la nuit.

La force de cervelle fait les entêtés, et la force d’esprit les caractères fermes.

Avoir fortement des idées, ce n’est rien ; l’important est d’avoir des idées fortes, c’est-à-dire où il y ait une grande force de vérité. Or, la vérité et sa force ne dépendent point de la tête d’un homme.

On appelle un homme fort celui qui tient tête aux objections ; mais ce n’est là qu’une force d’attitude.

Un trait obtus, lancé d’une main forte, peut frapper fortement, parce que l’on va du corps au corps ; mais de forts poumons et un