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L’ART MODERNE EN ALLEMAGNE.

tout le puissant abandon d’un grand maître. Le vieux prêtre placé derrière Paul partage évidemment l’émotion du pontife, mais il sait mieux la cacher. Un léger froncement de sourcil d’une admirable profondeur trahit seul toutes les colères qu’il ressent à la vue du chef de l’hérésie. Le jeune moine accoudé sur un livre et observant du coin de l’œil l’effet produit sur le vieux pape par ce portrait du chef de la nouvelle religion, est également très finement pensé. Il n’est pas jusqu’à ce Luther en peinture, qui, par la façon dont il est traité, ne quitte le caractère d’un simple accessoire pour intervenir directement dans le drame. La Bible en main, la tête haute et le sourire du mépris sur les lèvres, le téméraire semble braver en face ce pontife impuissant qui, pour étouffer les éclats de sa voix, lance vainement sur sa tête toutes les foudres du Vatican.

Les statuaires, dans ces dernières années, ont soutenu dignement la lutte avec les peintres ; retenus par la nature même de leur art qui se prête moins aisément aux caprices archaïques, ils l’emportent certainement sur eux en nouveauté et en originalité. Les Victoires ailées qu’achève M. Rauch, les frises de Schwanthaler, ses frontons du Walhalla, ses statues des peintres et des sculpteurs pour la Glyptothèque de Munich, celles des princes bavarois pour la salle du trône, sont autant d’œuvres qui témoignent d’une puissance réelle d’invention et d’une grande habileté d’exécution. Trois entreprises capitales occupent aujourd’hui les principaux statuaires allemands, et, si le succès couronne leurs efforts, ils leur devront sans doute une impérissable renommée. Ce sont trois statues colossales : la statue équestre du grand Frédéric par Rauch, celle de la Bavière par Schwanthaler, qui doit avoir cinquante pieds de haut, celle enfin qui couronne le monument national d’Arminius par le sculpteur Ernest de Bandel. Cette dernière, haute de quarante pieds, représente l’effigie en bronze du vainqueur de Varus. Un monument de cent dix pieds d’élévation, de style gothique primitif, sert de base à cette statue, dont la pose est d’une sauvage et triomphante énergie. Ce monument est construit sur une montagne, au milieu de la forêt de Teutoburg, à l’endroit où l’on suppose que les légions romaines furent détruites. Voilà de ces entreprises vraiment dignes d’un grand peuple.

À ces louanges particulières ajoutons des éloges plus généraux et qui concernent toute l’école allemande. Ces éloges sont surtout applicables à l’esprit de suite et d’ensemble apporté à ses travaux, à la modération des artistes chargés de leur exécution, et à la judi-