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absolues. C’était tenter l’impossible et faire de la science, déjà bien vaine, le plus absurde emploi. De nos jours, on est tombé dans des aberrations analogues. Comme on avait fortifié le dessin par l’analyse anatomique, on a voulu perfectionner le coloris par l’analyse chimique. Mais quand ces peintres faiseurs d’expériences ont reconnu, après Vauquelin, que les cheveux et la barbe de l’homme contenaient neuf substances différentes, que les cheveux noirs renfermaient une huile noire, les cheveux blonds une huile jaunâtre, et les cheveux blancs une huile incolore ; qu’il y avait excès de soufre dans les cheveux des roux, et qu’enfin les cheveux et la barbe des vieillards devaient leur blancheur à la présence du phosphate de magnésie, croient-ils avoir fait des découvertes réellement profitables à l’art et avoir acquis, par cette puérile application des sciences naturelles, la science de la couleur ? Ils ont seulement abusé de l’analyse, comme d’autres du calcul et de la pensée.

À la suite de ces considérations critiques, nous devons maintenant faire la part de l’éloge. Cette part revient de droit aux peintres qui se sont le plus complètement affranchis de ces influences rétrogrades, aux Schnorr, aux Schadow, aux Schorn, aux Hemsel, artistes originaux chacun à sa manière. M. Schnorr n’est pas seulement un artiste de talent, c’est un homme de génie ; ses peintures du Niebelungen ont quelque chose du caractère grandiose et rude de cette sauvage épopée. La salle des personnages est l’une des productions les plus complètes de la peinture moderne. Dans les tableaux où M. Schnorr a représenté ces personnages en action, le peintre n’a peut-être pas été toujours si heureux. Néanmoins la plupart de ces terribles acteurs laissent une impression durable et profonde, car M. Schnorr est, avant tout, un poète dramatique qui manie à son gré les deux grands ressorts de l’intérêt, la terreur et la pitié. Le Christ devant Pilate, de M. Hemsel, est l’un des plus beaux tableaux de sainteté qu’aient produits les peintres de l’Allemagne moderne. Nous sommes, d’autre part, loin d’approuver la sévérité avec laquelle M. Fortoul, si indulgent pour les peintres de la Bavière, juge Schadow, et les écoles de Dusseldorf, de Berlin et de Weimar. Quelques-uns des peintres de cette dernière école se distinguent cependant par un mélange d’élévation historique et de finesse de pensée assez rare chez les Allemands. Nous citerons en première ligne M. Schorn. Son tableau du pape Paul III contemplant le portrait de Luther est peut-être le chef-d’œuvre du genre anecdotique. La figure du pape, absorbé par une sorte de méditation curieuse et fatale, est jetée avec